Baby Blue Cadillac

On a roulé longtemps, dans le jour d’abord, et puis la nuit est tombée. C’est fou ce que ca vit, une autoroute, les gens qui se croisent, les enfants qui s’endorment sur la banquette arrière, les bandes phosphorescentes, 6 par secondes, voie de gauche, la limite de vitesse presque pas dépassée, le disque qui tourne en boucle dans l’auto-radio cassé. Parfois j’ai l’impression que la musique vient juste pour moi, qu’elle s’accorde au paysage, au rythme et aux mouvements, c’est comme un ballet délicat de monstres inutiles, d’existences et d’aires de repos. A chaque panneau, un rapide calcul, plus que 420 kilomètres, si on roule toujours, plus que presque trois heures et demie, peut-être quatre, plus que 240 minutes, plus que quatre tours de pistes pour les chansons qui s’épuisent.

Au bord des voies, à quelques kilomètres, on les voit de loin, ces cargos illuminés, les stations services, leurs machines à cafés, leurs supermarchés, mais surtout les gens, comme vidés, les yeux dans la vide, la tasse en plastique fumante posée sur la poubelle, cigarette à la bouche, main dans la poche, parfois un enfant qui pleure, il est si tard, on est si loin, moi aussi je déteste la route, cet entre-deux détestable, parti mais pas encore arrivé, la caravane des vélos accrochés au coffre, les valises et les seaux en plastique, ce qu’on fera tout à l’heure, la chambre qu’on retrouvera, le programme des jours qui viennent, en attendant on est encore rien, perdus quelque part entre ici et là bas. C’est peut-être la passivité de mon statut de passagère qui me rend si difficile, ou c’est peut-être que je ne sais jamais si je suis vraiment arrivée, quand le moteur s’arrête, quand on déballe et quand on s’installe, est-ce que c’est bien là qu’on voulait aller, est-ce qu’on nous attend, est-ce qu’on aura du bonheur, enfin.