Mon Legionnaire

Il était grand, il était beau, il sentait le Drakkar Noir, sur son torse y’avait tatoué Honneur et Fidélité. Un vrai cliché, mon légionnaire, son crâne rasé et ses muscles bandés, jusqu’à son regard clair et à ses pieds qui puaient. C’était pas une lumière mon légionnaire, il avait pas fait St Cyr, il grimpait doucement les échelons du troufion, il était gentil, un peu brute, un peu gauche aussi, un brave type, franc et droit, pas franchement intéressé par ce que j’avais à lui raconter, plus heureux blotti entre mes seins, presque recroquevillé, à respirer ma peau, en silence, sans jamais rien me demander, sans jamais rien raconter.

Il était pas beaucoup là, mon légionnaire, bloqué dans sa base pleine d’hommes toute l’année, les opérations à Djibouti et les déplacements en Afghanistan, il aimait ça, il avait choisi sa vie, il voulait quitter l’armée mais continuer à se battre, pour plus cher, dans le privé, vendre sa carcasse à la compagnie qui voudrait, en attendant d’être vieux et usé. Il est venu une dernière fois, il est resté toute une nuit, il est parti pendant mon sommeil, me laissant un petit mot sur la table basse : merci.

Il m’a écrit de là bas, mon légionnaire, des mails courts et un peu idiots, qui ne disaient rien mais qui demandaient beaucoup, que je lui raconte ce qui se passait ici, si je pensais à lui, s’il me manquait. J’ai répondu un peu, au début, parce qu’il me faisait de la peine, mon légionnaire, que j’avais peur pour lui, que je l’imaginais sur une route pourrie au milieu d’un désert en train de tirer, je lui tenais compagnie virtuellement au milieu de la nuit, son silence de là bas, les bruits familiers de mon appartement à Paris, ils se mêlaient sans qu’on ne dise rien, je m’endormais sur Skype pour me réveiller devant une session fermée.

Un jour il est mort, mon légionnaire, explosé au champ d’honneur, je ne sais pas si on peut dire ça pour un mercenaire, son joli corps musclé et tatoué a sauté sur une mine alors qu’il accompagnait un convoi d’hommes d’affaires, il est rentré en morceaux dans un boîte en fer, Honneur et Fidélité, tu n’as plus le choix maintenant mon amant silencieux, il repose quelque part sous quelques grammes de terre, je ne sais pas où, je ne lui ai pas dit au revoir, je n’ai rien effacé, il est juste parti un peu plus loin, mon légionnaire, il reste muet, il reste là.