Baby Steps

J’apprends à marcher seule, une nouvelle fois. J’étais tombée, très loin, très noir, encore. Il me faut du temps pour reprendre de l’élan, pouvoir poser la plante de mes pieds à plat sur le sol, sans avoir les doigts de pieds qui se recourbent et se tordent, qui spasment et qui se meurent. Les vacances n’arrangent pas tout, du moins pas aussi bien que je l’avais rêvé. Je dors un peu mieux, mais toujours accompagnée. Je suis encore très préoccupée, très solitaire au fond. J’ai du mal à supporter qu’on me parle, qu’on me coupe, qu’on m’empêche de dérouler une idée, je cherche la discussion, la compagnie, la société, mais je ne la tolère que quelques minutes. J’ai vite besoin de me replonger dans un livre, d’allumer mon Ipod, de m’échapper. Je ne suis pas très sociable, encore. Il faudra encore travailler. Les pieds dans le sable mouillée, la tête à la mer, le corps immergé dans l’eau trop froide pour y rester, électrochocs circonstanciels, thérapie en nu majeur.

A chaque peur, une solution, un mur, une fuite. Grande fourche. Quelle route choisir. La route des vacances aura été difficile. Je craignais terriblement de quitter mon cocon, mes habitudes. J’espérais terriblement  quitter mon cocon, mes habitudes. Je sais qu’il faut que je me force, que je me pousse, que je donne l’impulsion, pour que le mouvement vienne, que les heures reprennent leurs battements réguliers, pour que ma vie reprenne, telle que je l’avais laissée, ou presque, à quelques deuils, à quelques personnes, à quelques vies près. Je ne pensais pas écrire pendant ce court séjour ailleurs, je n’en avais vraiment pas envie. Il y a des choses qu’on confie plus simplement à un écran vide, la nuit, pendant que le chat miaule et que la maison dort, il y a des choses que je suis lasse de répéter, il y a encore demain, il y a encore cette nuit à passer.

Ici, on me parle de mon père. Beaucoup. Infiniment plus que le reste de l’année. Je reste détachée, en apparence. Je raconte. J’explique. Ce n’était pas de ta faute, ca n’aurait pas du arriver. Je sais. Est ce que ca change quelque chose ? Pas vraiment. L’absent vient s’immiscer, éléphant dans mon magasin de porcelaine intérieur, je voudrais qu’on l’oublie, je voudrais qu’on l’efface, pourtant, ca me fait du bien, aussi, d’en parler. Je n’ai rien oublié, je n’ai que de vagues théories, des supputations, à offrir à ceux qui m’interrogent. Rien de nouveau, non, je ne l’ai pas revu. Non, je ne les connais pas, ceux qui sont mes frères par le sang. Ils ne savent pas, les pauvres, que je pense à eux. C’est ici, dans ce salon qui sent le bois et le renfermé, que j’ai appris ta naissance, il y a presque quinze ans maintenant. Mon frère, mon cadet, mon sang. Tu verras quand il sera mort et que nous serons réunis, tu me cracheras au visage, la fille cachée, oubliée, tu t’étonneras de voir mon nom apparaître à la faveur de la loi. On ne renie pas sa fille, pas légalement en tout cas.

Demain le marché, le soleil, si il veut bien. J’ai envie de rentrer. De rester aussi peut-être. Je suis de toutes manières, ailleurs, la plupart du temps.