Geographie

Mes idées s’effritent, je le prends pourtant avec délicatesse, je les sors de mon cerveau pour les poser sur le clavier, je ne bouscule rien, j’ai trop peur de les casser, au moment de les taper elles se brisent et s’envolent, je n’arrive pas à les rattraper, d’ailleurs j’ai arrêté d’essayer, je reste assise et je les regarde flotter, contemplation stupide, néant, peur du vide. Il ne manque pourtant pas grand chose pour que je finisse, ce projet un peu fou, écrire un format long, avec des chapitres et des virgules, des paragraphes et des dialogues, loin de mes entrailles que j’expose tendance boucherie-chic ici, skyblog pour presque trentenaire lettrée, au début c’était facile, j’avais l’envie, j’avais l’histoire, j’avais la fin et puis la chute, la morale et puis les maux, depuis une semaine je bloque au chapitre 18, j’ai beau me mettre en condition, soigner les clopes et la musique, les ingrédients essentiels de ma production au clavier, je suis sortie, je suis rentrée, j’ai essayé d’écrire au café, dans le métro ou sur du papier, ca ne sort plus je suis bloquée.

Je ne suis pas découragée, j’attends juste d’accoucher, je me sens lourde d’un quelque chose mais pas encore prête à pousser, et puis finir c’est prendre le risque de le faire lire, de me faire tacler, renvoyer dans mes buts d’aspirante écrivaine, retour à la case Sentier, si tout cela n’était qu’une parenthèse, période maniaque particulièrement bien menée, si tout cela retournait à l’obscurité, centaines de pages imprimées, relues et raturées, qui finiront planquée dans un carton défoncé, avec les autres projets que je n’arrive pas à achever, j’ai la confiance en moi fluctuante, sinusoïdale de l’ego, sans cesse malmené, par moi et par ce que je lis, quand j’ouvre un livre, quand j’écoute un texte je prends conscience de ma grande médiocrité, du chemin qu’il reste à parcourir et ce qu’il est impossible d’apprendre, le talent, le génie, faire frapper les verbes au milieu des mots pour qu’ils se mettent à hurler, accrocher le lecteur pour qu’il aie envie de te bouffer, de te dévorer, ne pas lâcher ton texte et l’emporter aux toilettes, bouffer en me lisant, chier et baiser en y pensant.

Bien sur je suis orgueilleuse, bien sur j’ai trop de fierté, je mets la barre haute et je prends trop de recul pour bien la sauter, mais quitte à te lancer dans le vide, autant le faire avec panache, le saut de l’ange parfait, ne rien regretter, se dire qu’on aura tout fait pour y arriver, que mes phalanges saignent de mes mots qui sont tout niqués, que mes yeux se fatiguent à relire la même putain de phrase qui ne veut pas s’enchaîner, trouver les mots inutiles, effacer, recommencer, trouver des synonymes, changer d’idée, pomme S, enregistrer, balancer le portable dans le coin le plus lointain du canapé, faire le tour de l’appart en fumant, penser que je n’y arriverai jamais, ouvrir le document encore, reposer le même verbe débile et se dire qu’il faut avancer, mettre des étoiles en gras autour des mots qui ne passent pas, se promettre d’y revenir quand on aura vraiment tout bouclé, regarder derrière soi et se dire que tout est à refaire, se battre avec le temps, quatre heure du matin et rien.