Les ombres sont des rêves

Y’a cet endroit en toi, en moi, que je recherche et que j’atteins rarement, ce lieu rare et particulier, où rien n’existe que tes souvenirs et la saveur géniale de ce que ton cerveau a choisi de conserver, les images et les sons, encéphalogramme excité, chaque fois que tu souris, chaque fois que tu aimes, c’est gravé quelque part, c’est noté, parfois j’arrive à y retourner, pas besoin de fermer les yeux, juste trouver le chemin pour y arriver, laisser de côté ce qui t’arrive, l’immédiateté, l’instant, te laisser aller à l’intérieur, voyage immobile vers le centre du paisible, du serein, de ce qui a été.

Dans cette boîte, y’a l’enfance et puis le maintenant, mon déguisement de cet été, quand j’avais gagné au club de plage, l’odeur de ma grand-mère quand elle m’aimait encore et les œufs brouillés à la tomate qu’elle cuisine en croyant me faire plaisir, le parquet de la maison de vacances, plein de nœuds, de bosses, le cri des mouettes et la cigarette que je fume en cachette la nuit, pas de grosses fêtes, pas de souvenirs avinés, presque pas de sexe, d’hommes ou de sentiment, cette boîte est restée intacte au temps qui passe, à l’âge adulte, aux histoires des copines, aux rumeurs et à l’appareil dentaire de l’adolescence, dans cette boîte y’a des souvenirs que je peux même pas dessiner, des impressions, des émotions, du brut pas décodé, j’ai pas envie de salir, je le garde pour moi, c’est là que je vais quand tout tourne autour de moi.

Je voudrais remplir cet endroit de tout ce qui se passe dans ma vie en ce moment, je voudrais l’ouvrir, je voudrais faire tourner, mes bonheurs débiles et les choses qui me font du bien en secret, d’habitude je suis pourtant une putain de bordélique, je mélange tout et je range rien, j’ouvre mon courrier trois fois par an, je procrastine et puis j’attends, seulement là j’arrive pas, c’est trop à moi, c’est trop intime, j’ai trop compartimenté, les choses qu’on peut dire et celles qu’on se doit de protéger, pour être sure de ne pas les abîmer, de ne pas les perdre, si je te laisse rentrer c’est fini, j’ai plus rien à moi, je suis à poil, je suis vulnérable, si je ferme les yeux j’ai nulle part où aller.

J’voudrais vivre dans ma boîte et regarder passer le temps, j’voudrais ne plus avancer, me faire un nid là dedans, me rouler dans ma nostalgie teintée en rose et ne plus rien espérer, me contenter de ce qui était bien, ne plus avoir envie de plus, de plus avoir besoin de croire, j’voudrais me blinder, m’isoler, laine de verre de ce qui fait tampon avec le quotidien, avec mes emmerdes et le reste, arriver à me dire que je n’ai pas besoin de m’inquièter, puisque tout ira bien, parce que j’ai la dose de bonheur en moi qui me permet d’avancer, quelque soit demain, j’voudrais apprendre à puiser à l’intérieur de moi plutôt que de toujours chercher ailleurs ce qu’il me manque, me rassurer toute seule plutôt qu’avec de la bouffe ou de l’amour, j’apprends, j’y arrive, pas à pas, c’est long mais ca viendra, c’est comme ces nuits d’été, quand le soleil tarde à se coucher, le temps qui s’arrête et les bougies dans le jardin, la nuit tombera mais on a le temps, on est pas pressés.