Il y a du soleil, soleil dans tes yeux

D’abord la chaleur, la descente de l’avion, le soleil, écrasant, les vêtements qui collent et la douane à passer, si t’as de la chance c’est rapide, les jours où t’en as pas, ca peut durer des heures, coincée dans le no man’s land, entre deux pays, entre deux états, le soleil à travers les baies vitrées de l’aéroport, ta valise qui tourne seule, abandonnée, sur le tapis roulant des arrivées, ce que tu as mis dans ta valise pour tes amis, pour ta famille, la barrière, la dernière, le soleil en pleine tronche, enfin, les corps et les odeurs de ceux que tu aimes à distance, les retrouvailles après onze mois passés loin d’eux, les larmes sur le béton du parking, les promesses de revenir plus souvent maintenant, le trajet en voiture, tu t’en mets plein les yeux, les panneaux de l’autoroute et les palmiers, rien qui change et pourtant tout a changé, les immeubles qui poussent au milieu du désert, des neveux qui viennent de naître à rencontrer, tellement de gens à embrasser, et le soleil, encore, permanent, le contraste de ta peau si blanche et des leurs si halée, dans trois jours tu seras cramée, comme à chaque fois, l’odeur de la chaleur sur ta peau, la crème solaire et les pastèques sur la plage, les soirées les pieds dans le sable, la journée tu appartiens aux tiens, la nuit tu fais la fête et tu vis vraiment, cocktails à 20 shekels, tu croises tout Paris, ta voisine, ta cousine et le beau gosse du restaurant, tous là, en transe, les soleils la nuit sont nombreux, alcools et mélanges, tu sors pour prendre un verre tu finis au petit déjeuner, avec trois expatriés et trois soldats en uniforme, le uzi et les tongs, ray-ban dans la poche arrière du treillis, ici la guerre civile fait partie de la vie, plus rien ne t’étonne, te faire fouiller quand tu vas prendre un café, ouvrir ton sac avant d’aller danser, les regards lourds de sens quand tu montes dans le bus, les contrastes entre les autres et toi, ceux qui vivent toute l’année ici, qui ont oublié qu’on habite ici dans des maisons sans abris blindés, ca sert de buanderie, pour toi c’est flippant, ca te rappelle que ceux que tu laisses derrière sont vulnérables, fragiles, et quand à 4000 kilomètres tu regardes les infos, tu passes un coup de fil même si tu sais que rien n’est arrivé, juste pour te rassurer, juste pour partager avec eux, la peur et puis l’angoisse, le souvenir des jours d’été.

Tu vis dans l’insouciance, pour toi c’est facile, tu ne restes pas, parfois tu joues avec l’idée, et si tu partais, et si tu changeais de vie, rejoindre le soleil permanent dans ta tête, t’oublie que là bas aussi l’hiver il neige, tu dépenses ton argent en taxis et en sorties, ton cousin a deux métiers et 6 enfants, tu calcules pas bien le contraste entre ce que tu vis un mois et ce qui se passe vraiment, les contrastes blanc sur noir sont moins flagrant la nuit, les soucis tu les partages de loin, par mail ou par téléphone, quand t’es là bas tout va toujours bien, tu passes à l’endroit où hier ca a explosé, mais bizarrement t’es habituée, tu respires cet air particulier, qui te donne la foi, qui te donne un peu plus de cœur, t’admire ceux qui luttent, résistent et qui donnent de la voix, mais t’es contente de repartir, ta révolte s’arrête dans la salle d’embarquement, tu manges ton dernier Mc Do de l’année à Tel Aviv, tu rapportes des cigarettes et du sel de la Mer Morte, le fil rouge à ton poignet, les images du coucher de soleil sur Akba, si tu nages un peu trop loin t’es au point zéro de l’humanité, l’Égypte à droite, à gauche la Jordanie, derrière toi ton pays, les garçons au regard sérieux, les gens en noir que tu admires de loin, les filles si jolies, le temps qui passe sur la terre qui n’appartient à personne, surtout pas à toi qui la consomme , tu prends le meilleur, t’embarque le reste dans ton appareil photo, les images, les odeurs et puis les gens, tu t’en lasses pas, dans ta tête ca reste, l’attachement à la poussière et au calme, le soleil et l’euphorie des nuits, la condensation sur la vitre, l’impression que l’essence de ton être est restée là bas, que les vies d’ici s’annulent, que rien ne compte cette chaleur là, qui te prend aux tripes quand t’entends la Hatikva, blédarde de là bas, finalement c’est pareil, le même sentiment d’être exilée que ceux qui viennent d’ailleurs, tata du bled ne m’oublie pas, dans onze mois je reviens m’en mettre plein la tête, les yeux et puis les mains, les cailloux de ton jardin dans ma poche, arrachés au sol pour le prendre avec moi, vivre par procuration les tremblements, les secousses, les serrer quand j’ai l’impression d’avoir oublié, d’avoir épuisé les réserves, pensée magique qui me ramène, je ferme les yeux et je suis avec toi, sous le porche, un spring mangue et une cigarette, ma main dans les cheveux de tes enfants, les yeux perdus dans l’immensité des lumières de Jeru, tu sais qu’on voit jusqu’au Liban ?