La Tuile

C’est quand même la tuile d’être un mec. Je me demande souvent comment ils supportent la pression de devoir avoir un érection, signe ultime de la virilité, comment ils gèrent leur délicate machine intérieure, la pulsion semble contrôler l’engin, mais parfois la tête aussi, les signaux se brouillent entre le cerveau et les parties, et le pénis triste reste flasque et sans vie, il s’excite et grogne, se met à gueuler, se fustige tout seul de son incapacité, invoque tout les dieux au chevet de la bite, c’est un drame national, une morne soirée pour l’humanité entière, il ne s’en remet pas et tourne en rond dans la chambre, autour du lit le sillon de ses pas se creuse, il marche l’air malheureux, le gland récalcitrant dans la main, il le tire et le frotte, lui promet des récompenses, promet que ce n’est pas de ta faute et qu’il te trouve terriblement excitante, il s’acharne sur son chibre qui peu à peu se recroqueville, t’essaie de lui dire d’arrêter, que rien n’est grave vraiment, tes paroles se heurtent à la fierté froissée de 8 centimètres de chair plissée.

Au début j’essayais moi aussi et je m’acharnais, les techniques les plus folles et les poses les plus excitantes, les mots crus et les encouragement, pour obtenir au mieux une demie-molle fuyante, qui une fois empalée finit de se dégonfler en toi, c’est usant, pour la mâchoire et pour les poignets, c’est déstabilisant, pour l’ego et pour le désir, toi aussi tu finis par t’énerver, par malmener son bout, le mordre et le tordre, les dents et puis les ongles, tu voudrais baisser les bras, arrêter, fumer une cigarette et même parler d’autre chose, mais tu sens bien qu’il est capital de tout tenter, même sans résultat probant, partager avec ton homme le dur chemin vers l’érection, le moment où tu crois sentir quelque chose, vous allez y arriver, la pénétration vous tend les doigts, et puis la retombée molle le long de sa cuisse, les espoirs de levrette sauvage qui s’envolent, la queue rouge et trempée soumise à la cruelle gravité.

Aujourd’hui j’ai crois avoir compris, et si je me plante tant pis, que les pannes sont égoïstes, qu’elles ne concernent finalement que le mâle et sa bite, ou plutôt l’homme et sa tête, et qu’à part en cas de grosse fatigue ou de dégueulasserie répulsive profonde chez toi, l’homme est soumis à son stress, à l’angoisse de la performance, à son inconscient et à ses peurs, à son envie forte ou trop fluctuante, et qu’il ne sert à rien de se faire violence, de faire des incantations magiques ou de blasphémer, je préfère m’étendre et laisser passer, parler d’autre chose et aller chercher à boire, rassurer, cajoler, embrasser, oublier les conseils abrutis de FHM ou de Glamour, les points de réflexologie et le rhum arrangé au bois bandé, je le laisse se démerder et se calmer, reprendre ses esprits et sa fierté, que la frustration de voir un mec décomposé pour une bête histoire de tuyau engorgé ne vaut pas la peine de s’inquiéter, vivre et laisser vivre, croiser secrètement les doigts pour la prochaine fois.

Je me félicite à chaque fois de mon sexe féminin, de ma capacité à jouir et à me faire jouir, sans contrainte de pesanteur ou de rigidité, et si parfois ma tête rechigne, sur un malentendu on peut s’arranger, je suis bon public et j’ai l’excitation facile, au pire tu triches un peu au début, tu simules la physiologie de la vulve mouillée, l’appétit vient en mangeant, on est jamais aussi bien servi que par soi même, on est aisément dupé par ce qu’on aime, on ne perd pas son temps en aiguisant ses outils, les proverbes et les banalités servent mon propos pour m’éviter de faire une description trop graphique, je ne voudrais pas choquer mon lectorat masculin fragile, et lui ôter pour toujours sa capacité à croire en la merveilleuse et délicate capacité féminine à l’accueillir toujours offerte et préparée, il y a de ces secrets divins qui ne se trahissent pas, dans l’intérêt commun des parties concernés, je jette un voile pudique sur ces techniques, et retourne dans ma chambre, réconforter celui qui m’y attend, penaud et renfrogné.