Sicko

Je crois que je suis malade, mais je crois tout le temps que j’ai quelque chose, un cancer ou un truc inconnu, une tumeur du genou ou un furoncle du cerveau, j’ai jamais quelque chose de simple, un rhume ou un truc, dans ma tête c’est tout de suite affreux, je me vois en blouse verte qui couvre à peine mes fesses, en train de passer un IRM sous le regard embué du médecin qui sait qu’il ne peut rien pour moi, le monde pleure, et moi je reste digne. Quand j’arrive chez le médecin, je le vois déja se marrer, la dernière fois que je lui ai expliqué que j’avais une dégénérescence maculaire, je crois que je me suis grillée, il m’écoute à moitié, il prend ma tension, me donne du Doliprane et me tapote le dos, ca m’énerve, alors parfois je vais en voir un autre, parce que le premier me connaît, donc il ne peut pas être objectif, mais le second est aussi formel, rien de grave, Fervex, angoisse.

J’ai longtemps cru que j’avais des problèmes cardiaques graves, le genre à te faire crever dans l’instant, des palpitations congénitales, un truc vraiment pas normal, un jour je me sentais pire que les autres, me voilà partie, en bus, jusqu’aux urgences les plus proches, j’arrive et j’annonce fièrement à l’infirmière de garde que je viens pour une crise cardiaque, c’est sur j’ai tout les signes, le bras qui gratte, la mâchoire bloquée, la poitrine oppressée, du mal à respirer, éléctro-cardiogramme et examens plus tard, non, rien de rien, même pas un petit souffle au cœur à raconter aux copains, juste une crise d’angoisse et une bronchite, au moins j’ai fait rire tout le service, de l’interne à l’aide soignante, avec ma pseudo pneumonie du palpitant, je repars comme je suis venue, une ordonnance de plus à ajouter à la pile sur mon bureau, et la promesse de ne pas revenir demain avec quelque chose d’imaginaire, parce que les urgences c’est pour les vraies urgences mademoiselle, pas pour les détraquées pathologiques comme vous, on vous conseille de consulter.

Quand je pars loin de chez moi, mon sac c’est la pharmacie, pour la tête ou pour les pieds, pour les angoisses et contre le mauvais sort, j’ai tout ce qu’il faut rangé, bien classé, la seule chose que j’arrive à ordonner, je me demande si j’ai pas raté ma vocation, pharmacienne ca m’irait bien, des hémorroïdes à la peine de cœur, je peux prescrire, j’ai testé pour vous, je connais sur le bout des doigts les notices en papier Bible, je les dévore et j’attends les effets secondaires à chaque fois, persuadée que le 1 sur 10 000, forcément ca tombe sur moi. Ce soir je suis à peu près sur d’avoir un ulcère purulent, qui me détruit l’estomac, j’ai lu tout ce qu’il faut sur l’opération, je suis parée, j’hésite entre écrire mes dernières volontés et faire ma valise pour l’hôpital, dans mon portefeuille il y a un post-it géant “Allergique à la pénicilline”, imagine que je tombe dans la rue et que je sois inconsciente, que j’ai un accident d’avion ou un coma soudain, comment ils sauraient ce qu’il faut me faire et ce qu’il faut me donner, je préfère assurer, les médecins, ces incompétents, de toutes façons ils me trouvent jamais rien.

Alors si je n’écris plus pendant quelques jours, ne t’inquiète pas, je suis pas loin, je erre de service en service à la clinique de ma ville, je saute sur les médecins pour leur arracher un diagnostic, je m’invente des douleurs pour les forcer à passer des examens, au bout d’un moment ils seront saoulés et nous renverront, mes ulcères, mes cancers, mes angoisses et moi.