Veau D’Or

Je m’assume plutôt, j’ai pas de soucis avec moi, mon corps m’appartient, et je refuse qu’il soit un champ de bataille, je le laisse vivre, parfois on se fait un peu la gueule, mais globalement on s’entend, on s’aime et on se le rend, j’ai fait la paix il y a quelques années déjà, refusant pour toujours de me dire que je n’étais pas assez bien, assez mince ou assez jolie, assez comme on voudrait, assez dans la norme ou assez sexy, je suis moi, je suis grosse et j’emmerde vos regards, je pisse au cul de la norme et j’encule les créateurs, les décideurs, ceux qui voudraient penser pour nous, respirer pour nous, écrire pour nous et choisir, ce qu’on écoute et ce qu’on lit, ce qu’on désire et ce qui nous fait bander, j’arrache la gueule des putes condescendantes, j’ai choisi d’être une punk pondérale, une anarchiste du corps, je ne mettrai pas ma chemise brune taille 38, je ne rentrerai pas dans le rang, c’est presque une raison de vivre bien, d’être heureuse, juste par revanche, juste pour faire chier, juste à mon niveau, juste aussi fort que je puisse le gueuler.

C’est un choix conscient, j’aurai pu me faire opérer, j’aurai pu choisir de lutter contre moi, de me priver, de rentrer dans une clinique boucherie, de renoncer à comprendre, à analyser, à travailler, je comprends tellement qu’on passe par là, qu’on fasse tout pour oublier qu’on a été différent, bruler les photos d’avant et les anciens vêtements, se faire couper l’estomac pour ne plus jamais recommencer, j’ai rien contre, vraiment, c’était juste pas pour moi, je pouvais pas quitter mon gras comme ca, sans lui dire au revoir pour de bon, sans savoir pourquoi il était arrivé là, on se tient chaud depuis 30 ans déjà, c’est mon corps, mon ami, il me rend unique, il me rend moi, c’est absurde peut-être, mais je ne me connais pas sans lui, il m’a donné la rage, il m’a donné la foi, il façonne bien plus que mes bourrelets, il écrit et il porte mes histoires, mon histoire, ma vie tout entière, chaque centimètre de peau, chaque vergeture, chaque pli, pas besoin de tatouages quand on a ses souvenirs profonds dans la peau comme moi.

Pour résumer, le seul problème qu’il me reste, c’est toi, c’est les gens, c’est les codes de la société, comme si le corps devait tout entier nous représenter, comme si mon image était brouillée par une flaque d’huile refusant de se mélanger, j’en viens à tester des trucs pour mieux te niquer, me présenter sous une autre identité, comme si tout ce que je dis, tout ce que je pense, tout ce que je peux écrire était taché de gras, comme un vieux sac à beignet, comme une patate qui se voudrait frite, j’en viens à me dire que je devrais louer une connasse de mannequin pour me représenter, je suis sure qu’elle vendrait mes textes bien mieux que moi, y’a qu’à voir les photos des auteurs choisis par la Star Ac’ de l’écrit, là aussi vaut mieux être tendance frange et jean slim que grosse et dépenaillée, je dis ca, en fait j’y crois pas, j’ai pas envie d’y croire, je suis juste énervée, vouloir changer le regard des gens, c’est épuisant, demain ca ira mieux, je mettrai mon T-Shirt Fuck Fat Never Go Back, j’irai faire quelques doigts aux connards des agences de tendances, et j’aurai le sentiment du devoir accompli, c’est con.