Caca Pipi Prout

C’est pas beau de manger ses crottes de nez. C’est pas poli. Pas élégant. Mais surtout c’est pas beau. Pas féminin. Pas bien. Pourtant les crottes de nez, c’est pas pire que le sang des règles, la cyprine, les croutes qu’on arrache sur une plaie qui sèche. C’est à nous. C’est pas beau. C’est pas bon. Mais c’est nous. Alors parfois je me demande si je suis normale, parce que rien ne me dégoute chez moi, ni mes crottes de nez, ni mon sang, ni mon urine, ni rien d’autre en fait. Quand j’essaie d’expliquer ça, on me répond que je suis sale ou bizarre. Pourtant je ne prends pas de bain de pipi. Pourtant je ne mange plus mes crottes de nez. Juste je m’en fous. Et si je me pisse dessus en riant, je change de culotte, sans vomir, ni en faire un drame. Ca ne veut pas dire que j’entretiens des relations perverses aux diverses secrétions de mes partenaires sexuels. Non, non. Ca veut juste dire que ce qui sort de mon corps me semble relativement propre. Pour faire une comparaison affreuse, je crois que je préfère plonger les deux mains dans ma propre urine que de toucher les cheveux de quelqu’un que je ne connais pas. Je ne peux pas dire que j’aime mon caca. Ca serait mentir. Mais je préfere le mien à celui de l’autre.

C’est un peu comme la première fois que tu passes un week-end chez ton mec. Et que tu te demandes comment tu vas aller aux chiottes sans mourir de honte. Enfin, pas moi. Moi je m’en fous. Je ne dois pas être normale. Je n’ai pas honte de ma miction. je comprends qu’un homme s’enferme dans les toilettes avec des bandes dessinées. Prétendre que nous sommes des robots-princesses qui ne pétons jamais, ca m’angoisse, plutôt. Y’a le bruit et l’odeur, bien sur. Mais quand bien même. Qu’est ce que ça fait au final ? Ouvre la fenêtre, monte le son, pense à autre chose. Le fait même de se mettre la pression sur une possible défécation me semble amplement plus pervers. Comme ces nanas qui se maquillent avant que leurs mecs se réveillent, qui se parfument et qui se recouchent, comme des momies, embaumées, intouchables, recoiffées. Ca va durer deux jours ton histoire, meuf, sérieusement, ca me donne envie de pleurer. Tu feras quoi pendant ton accouchement, quand tu seras violette d’énervement à force de beugler, que ton utérus sera en vrac et que trois sages-femmes observeront tes dilatations ? Tu demanderas à ton mari d’attendre sagement dans la salle des pas pressés ? Tu demanderas une lipopsucion après ta césarienne, pour ressortir fraîche et vaine, prête à assurer ton rôle de jeune maman potiche ?

Dans mon entourage très proche, il y a ce couple. Ils sont mariés depuis 45 ans. Il est malade. Cancer du colon. Anus artificiel. Quand ils se tiennent la main autour de la table le vendredi soir, quand elle passe sa main dans son dos, quand elle l’appelle à travers l’appartement pour finir les mots croisés, je suis sure qu’elle est bien loin de penser à la poche qu’elle s’apprête à changer. Elle s’en fout. Elle a accouché, elle a été opérée, elle a été malade, il était là. Maintenant c’est son tour, les nuits sans dormir, les bruits intestinaux, les diarrhées, les opérations plus dégradantes encore, et alors ? Est-ce qu’elle y pense, tu crois ? Je ne pense pas. Elle veut juste qu’il reste encore un peu là, à côté d’elle, même avec le bruit et l’odeur, même avec la peur. Elle s’en fout, elle te dit.