Prince de la Ville

J’ai été parisienne. C’était pas compliquée, je suis née dans le 15eme. Rien de réfléchi, rien d’acquis. Juste mon milieu naturel, le métro et les embouteillages, les jolies lumières et les quartiers chics. La banlieue, c’était le mauvais souvenir de mes années de primaire, quand mes parents avaient décidé de s’expatrier. D’ailleurs, la banlieue commençait Gare du Nord, La Chapelle, Terminus. Les bobos n’étaient pas encore à la mode. Les clans étaient plus clairs, les appartenances moins troubles. Racaille contre bourgeois. Rappeur contre Rockeur. Nord, Sud.

Depuis deux ans, j’ai rejoint la grande banlieue. Zone 4 de ta carte Navigo, pas la jolie, avec des pavillons et des chiens qui aboient derrière la grille en fer forgée, la moche, la grise, celle dont on ne parle pas, avec les immeubles pourris et les familles nombreuses, le bruit, l’odeur, la multitude des couleurs. Il m’arrive de regretter mon trou à rat du 14eme, c’est tellement plus simple de sauter dans un métro, d’appeler un taxi, que de consulter les horaires du bus et de se faire toute petite dans un wagon de RER. Mais le plus souvent, je suis heureuse. Et un peu triste aussi. Dès que tu quittes Paris, ton aura diminue. D’un coup, sans prévenir. Tu ne peux plus te prévaloir de ton statut social de parisienne. Tes goûts ont moins d’impact. Ce que tu dis est plus facilement remis en question. Ta  vie d’avant disparait. Tu es banlieusarde pour toute la vie, dès que tu t’y installes. Tu n’as plus de crédibilité.

Et puis il y a les questions énervantes. Celles qui te donnent envie de couper les cordes vocales de Jean Pierre Pernaud avec une machette rouillée. Non, ca ne craint pas plus que ça. Oui, il y a des écoles, des médecins, une bibliothèque. L’eau chaude et l’électricité aussi. Non, on a pas peur la nuit, on a pas de portes blindées. Oui, mes voisins sont turcs et chantent toute la journée. Non, je ne suis pas en HLM. La banlieue n’est pas une vaste étendue de logements insalubres à loyers modérés. Oui, j’habite un quartier. Mais pas au quartier. Juste un quartier de ma ville. Comme il existe des dizaines de quartiers dans Paris. Quartier devient péjoratif dès le passage du périphérique. Oui, c’est un peu galère pour sortir, pour rentrer surtout, mais notre Monoprix local ne fait pas semblant de s’intéresser à notre bien-être pour nous vendre à bouffer. On a l’essentiel, on a des amis, de la famille. On a tout.

Je me moque de toi, le parisien, maintenant. Je me moque de ton air offusqué en permanence, de ta capacité à claquer ta thune pour rien, de tes désirs d’appartenance, de tes envies de Bling et de Toc. Je me moque de tes soirées, de tes bars stupides où rien ne se passe de nouveau jamais. Les mêmes verres et les mêmes discussions, depuis des années, encore, juste la peinture qui change. Je me moque quand tu grognes et quand tu te plains, des appartements trop chers et de la gréve de la RATP. Je me moque de moi et de mes sacs énormes, oversize c’est la mode, qui m’ont couté un Smic et que j’écrase contre moi dans le train à l’heure de pointe. Je me moque des modes et des endroits-où-il-faut-être, je me moque de vos barbes et des vos shorts en liberty, j’aime toujours autant Paris, j’aimerai juste que la ville se transporte jusqu’ici, vide.

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