La fille du train

Ca fait quatre fois qu’elle se lève pour aller aux toilettes, la fille du train. Depuis le départ de Paris, moins d’une heure, quatre fois qu’elle me demande si elle peut me déranger et que je la vois se presser sur le dos du siège, contorsionnée. Je me dis que ca compense un peu, elle n’avais pas l’air très contente d’avoir une voisine à grosses fesses, l’accoudoir central relevé, je ne suis pas très heureuse d’avoir une pisseuse cystique, la balle au centre. Quand elle revient, elle déplie la tablette et se love sur le métal, comme pour dormir, les bras pliés comme à l’école, quand on ne voulait plus rien écouter, comme si tout l’ennuyait profondément, comme si elle attendait la sonnerie, deux heures encore à tenir avec ma neurasthénique endormie. Mais elle ne dort pas, elle soupire et ses yeux se noient, alors je me tourne vers le couloir, égoïsme suprême, je croise le genou sur l’accoudoir et je monte le son, il y a juste encore le reflet de ses cheveux qui se soulèvent en rythme dans le miroir des glaces d’en face, saleté de TGV aux vitres sales.

Je l’ai vue se relever et se pelotonner contre le coin de son siège, son pull comme oreiller. J’ai cru qu’elle dormait. Je lui tournais le dos. J’ai senti son corps glisser. Ses épaules entrainant son buste tout entier vers moi, sa tête baissée, la joue comme encastrée dans son sein, son buste tout entier contre moi. Je n’ai rien dit, après tout, pourquoi pas, elle ne sentait pas mauvais, elle ne mordait pas, elle est restée un temps contre mon épaule tournée, le temps de quelques chansons que je n’écoutais pas, concentrée sur cette inconnue qui me collait sans le savoir, qui s’imbriquait contre moi, qui ne partait pas, malgré les soubresauts du train, malgré les appels de la voiture bar et les vibrations de son portable. C’était étrange, j’ai cru qu’elle était morte pendant une minute, malgré sa chaleur,  j’ai secoué mon épaule de bas en haut, elle a grogné, je me suis rassurée, j’ai continué à ne pas bouger, activité prenante, sous les yeux interloqués des autres voyageurs, stupéfaits. Il se passait quelque chose de particulier, mais je n’avais pas envie de savoir, pas envie de chercher. Je voulais juste la laisser dormir. Elle ne me gênait pas. La crampe dans mon épaule un peu plus, quelques minutes après.

J’aurai pu me racler la gorge, tousser, bouger, me trémousser, lui faire comprendre qu’elle m’indisposait, qu’elle devait se déporter vers la droite, mais finalement moi aussi, j’étais bien. Je n’aime pas prendre le train. J’ai reposé mon genou droit à terre, mes épaules se sont retournées, droites contre le dossier, sa tête est venue se poser sur ma poitrine d’abord, puis lentement sur mon ventre, et sur mes genoux. Elle a croisé les jambes, j’ai compris qu’elle ne dormait pas. Je l’ai laissée là, sans rien dire. Je ne sais pas pourquoi. Elle n’a rien dit. Quelques minutes avant l’arrivée en gare, elle s’est relevée d’un coup, elle m’a demandée si elle pouvait passer, elle est allée aux toilettes, elle a pris sa valise au dessus de son siège, elle est allée attendre dans l’entre-deux, juste à côté. A ma descente, elle m’a dit merci, elle est partie.

9 réflexions sur « La fille du train »

  1. Un vrai free hug ! Parce que malgré le temps, l’expérience, les liens et le visage social, il est bon de trouver une épaule où nicher sa peine sans rien attendre ni entendre. Je crois que tu es une belle personne (je sais c’est con de dire ça mais j’avais très envie d’être sincère, là. Promis, je ne le ferai plus).

  2. Moi aussi. Et le texte sur Mademoizelle.com, il m’a donner envie d’habiter à Sarcelle. Continue à partager cette humanité qu’on a tant besoin de faire vivre ! Paz y Amor, Camille

  3. Je connais ton blog par Madmoizelle.com … eh ben, on peut dire que j’aime beaucoup. J’adore même. Dommage que je ne sache pas utiliser les Flux Rss et que je sois obligée de venir tous les jours vérifier s’il y a un nouvel article (remarque ça fait monter tes stats !)

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