Lundi après-midi

Elle s’approche de moi. Ce qu’elle ne sait pas, c’est que je l’ai repérée depuis l’entrée. Je suis un aimant à fous, à illuminés, à gentils psychotiques et à imbéciles heureux. Peut-être parce que je suis le fou de quelqu’un. Peut-être parce que je suis celle qu’on voit de loin. Je n’en sais rien. Mais avec sa dégaine de sortie du lit sous Tranxene, ses cheveux sales et luisants sous les néons de l’hypermarché, ses vêtements débraillés et son pantalon trop court, et surtout ce tic nerveux, sa joue qui se contracte toutes les dix secondes pour rejoindre son oreille, elle clignotait en plein milieu du rayon frais.

J’ai les mains dans les bananes, et les écouteurs bien enfoncés dans les oreilles. Alors elle tire sur ma jupe. Une première fois comme par erreur, juste en passant derrière moi, elle attrape un pan de tissu qu’elle glisse entre ses doigts, je ressens juste un pincement, mais je ne me retourne pas. Elle continue son tour pour aller se planquer aux tomates. Je me dirige vers les balances électroniques, je pose mes bananes, j’étiquette, et je manque de tomber à la renverse. La dame est accroupie derrière moi, elle tient les longueurs de ma jupe dans ses deux mains, et elle attend. Elle ne dit rien. Je me rattrape comme je peux, j’évite surtout de l’aplatir de tout mon poids, autant pour elle que pour moi. Je n’ai pas envie de la toucher. Quelque chose me dégoute dans son visage gris et dans son regard flou. Je devrais avoir honte, mais c’est plus fort que moi.

Elle se relève.

Elle s’appelle Monique. Elle s’appelle Monique. Elle s’appelle Monique. Et moi ? Et moi ? Et moi ?

Moi c’est Daria. C’est pas très cool de m’attraper comme ca Monique.

Je te connais pas Daria. Je te connais pas Daria. Je te connais pas Daria.

Je ne te connais pas non plus. Il y a beaucoup de gens ici.

Beaucoup. Beaucoup. Beaucoup. Tu m’emmènes au shampoing ? Tu m’emmènes au shampoing ? Tu m’emmènes au shampoing ?

Nous voilà parties pour le shampoing. Monique habite la petite structure d’appartements thérapeutiques, juste à côté. Je ne savais même pas que cette structure existait. Je ne comprends pas tout. Apparemment il y a un éducateur, et puis une dame pour ranger. Et puis ils sortent quand ils veulent, parce qu’ils sont majeurs. Elle y tient beaucoup, Monique, à sa majorité. Peut-être parce qu’elle est en institution depuis petite ? Je n’en sais rien. Pour dire vrai, je lui donnais une quarantaine d’années. Quand je lui demande son âge, elle commence par me demander le mien, trois fois de suite, évidemment, et elle me dit qu’on est presque pareilles, elle et moi. Presque pareilles, Daria et moi.

Dimanche après-midi.

Les pieds dans l’eau, et puis finalement non, le bas du pantalon mouillé que tu relèves sur ton genou, le mollet trop banc et le soleil dans les yeux, le soleil comme si tu l’avais perdu depuis des années, comme si on avait oublié, regarder les poils sur ton bras, microscopiques changements, devenir blonds puis blancs, paupières plissées, la main juste devant, la mer qui s’en va, le sable et puis tes doigts. Le sel en traces blanches sur ton t-shirt marine, les cheveux emmêlés qu’on laisse se nouer, friser et se coller, le pull que tu enfiles sur ta peau encore humide, la serviette trop petite, choisie à la va vite, ce matin où tout était gris, où rien n’était bleu, le sable mouillé, ton nom à la trace, les patés, les mouettes et les rochers.

Les lèvres pourpres et les ongles violets, le froid des os, le chauffage à fond dans la voiture, l’odeur de la poussière réchauffée, la pluie comme par erreur, les vitres noyées, la plage devenue grise, le parking déserté, le sel qui se confond à la terre, le parfum de l’herbe détrempée, ta mâchoire qui s’entrechoque, ta main dans la mienne, mon souffle tiède pour la réanimer, tes chaussures pleines de sable, tes pieds encore au bord de l’eau, tes yeux mouillés. Quelques kilomètres à l’aveugle, la radio qui crache et ta voix qui chante, et puis soudain ton rire, presque hystérique, incontrôlé, torrentiel, la fenêtre que tu ouvres et tes bras qui attrapent les gouttes, sans les saisir jamais, tes mains tendues vers le ciel, et ta tronche fendue en deux, grimace incompréhensible.

Jack Lang, Défenseur des Enfants, vraiment ?

Dans un article d’avril dernier, le Figaro nous informe de l’arrivée probable de Jack Lang au poste de « Défenseur des Enfants ». Drôle de nom pour ce poste fraîchement créé par la loi du 20 mars 2011, qui définit le poste comme suivant :

« Les attributions du Défenseur des droits reprendront celles du Médiateur de la République, du Défenseur des enfants, celles de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) ainsi que de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE).

Le Défenseur des droits sera nommé par décret pris en Conseil des Ministres, les commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat pouvant s’opposer à une nomination à condition de le faire par au moins les 3/5ème des voix.

Le Défenseur des droits pourra être saisi par toute personne s’estimant lésée par le fonctionnement d’une administration ou d’un service public. Il pourra également s’intéresser aux agissements des personnes privées en matière de protection de l’enfance et de déontologie de la sécurité. Il peut être saisi de toutes les discriminations, directes ou indirectes, prohibées par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France. La saisine du Défenseur des droits sera gratuite.

Le texte de la loi organique instaure une immunité pénale pour le Défenseur des droits et ses adjoints. Dans une de ses réserves, le Conseil constitutionnel a précisé que cette immunité ne pourrait s’appliquer qu’aux opinions et actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions. En sont donc notamment exclus les violations des règles relatives à des secrets protégés par la loi ainsi que la violation des lieux privés.  » (Source ViePublique.fr)

Depuis cette annonce, de nombreuses associations de victimes de l’inceste ou de protection de l’enfance multiplient les appels à Nicolas Sarkozy pour qu’il considère les éléments les plus troublants du passé médiatique de l’homme politique plusieurs fois ministre. Ce dernier a en effet tenu a plusieurs reprises des propos jugés au mieux décalés , et parfois même inquiétants sur la sexualité mêlant mineurs et majeurs. Il se place dans la lignée des propos aujourd’hui regrettés par Daniel Cohen-Bendit dans les années 1970 sur la libération sexuelle de l’enfant, et on ne s’étonne donc pas de le voir signer un appel à la relaxe et à la solidarité avec trois hommes poursuivis pour « attentat à la pudeur sans violence sur des mineurs de quinze ans » dans Le Monde du 26 janvier 1977 :

« Les 27, 28 et 29 janvier, devant la cour d’assises des Yvelines vont comparaître pour attentat à la pudeur sans violence sur des mineurs de quinze ans, Bernard Dejager, Jean-Claude Gallien et Jean Burckardt, qui arrêtés à l’automne 1973 sont déjà restés plus de trois ans en détention provisoire. Seul Bernard Dejager a récemment bénéficié du principe de liberté des inculpés. Une si longue détention préventive pour instruire une simple affaire de  » moeurs  » où les enfants n’ont pas été victimes de la moindre violence, mais, au contraire, ont précisé aux juges d’instruction qu’ils étaient consentants (quoique la justice leur dénie actuellement tout droit au consentement), une si longue détention préventive nous paraît déjà scandaleuse. Aujourd’hui, ils risquent d’être condamnés à une grave peine de réclusion criminelle soit pour avoir eu des relations sexuelles avec ces mineurs, garçons et filles, soit pour avoir favorisé et photographié leurs jeux sexuels.

Nous considérons qu’il y a une disproportion manifeste d’une part, entre la qualification de  » crime  » qui justifie une telle sévérité, et la nature des faits reprochés; d’autre part, entre la caractère désuet de la loi et la réalité quotidienne d’une société qui tend à reconnaître chez les enfants et les adolescents l’existence d’une vie sexuelle (si une fille de treize ans a droit à la pilule, c’est pour quoi faire?)La loi française se contredit lorsqu’elle reconnaît une capacité de discernement à un mineur de treize ou quatorze ans qu’elle peut juger et condamner, alors qu’elle lui refuse cette capacité quand il s’agit de sa Vie affective et sexuelle. Trois ans de prison pour des caresses et des baisers, cela suffit. Nous ne comprendrions pas que le 29 janvier Dejager, Gallien et Burckardt ne retrouvent pas la liberté. »

Ces trois hommes, accusés d’avoir eu des relations sexuelles avec des jeunes filles de moins de quinze ans et d’avoir photographié et filmé leurs ébats, sont soutenus par toute une partie de l’élite intellectuelle. Jack Lang n’est pas le seul, il est aux côtés de Roland Barthes, Simone de Beauvoir, Fanny Deleuze, Bernard Kouchner, Françoise Laborie,  Jean-Paul Sartre, Philippe Sollers, Gérard Soulier, et même de psychiatres et de psychologues. Cela n’enlève en rien sa responsabilité individuelle à l’individu Lang.

Il récidivera, en déclarant par exemple dans le magazine Gay Pied le 31 Janvier 1991 « La sexualité puérile est encore un continent interdit, aux découvreurs du XXIe siècle d’en aborder les rivages ».

Je n’aime pas les énigmes dans les déclarations des hommes publics. Je n’aime pas l’ambivalence. Et j’ai conscience que ces vieux dossiers, ces phrases que Jack Lang traîne comme des boulets, sont des arguments faciles contre un homme politique soucieux de son image. Mais encore récemment, lors de la terrible affaire Polanski, c’est encore Mr Lang qui assurait la défense du cinéaste dans la presse et sur les plateaux de télévision.

Je me place du côté des Filles de Rien. Et je relaie, à mon tour, cette demande : Mr Sarkozy, il doit y avoir dans votre entourage politique, dans l’opposition, chez vos amis ou chez vos ennemis utiles, quelqu’un qui puisse assumer le rôle de Défenseur des Enfants sans avoir à se justifier sans cesse de positions troubles ou de paroles maladroites. Il doit y avoir quelqu’un de plus clairement investi que Mr Lang.

(J’ai un mois de retard sur la polémique, mais je m’en fous) (au cas ou)

50 ways to leave your lover

Je comprends pas les gens qui s’entêtent dans des histoires qui puent la merde. Qui s’entichent de merdeux, de pétasses, ou de gens charmants, mais juste pas les bons, juste pas cette fois, reprends un ticket et fais la queue, la prochaine fois peut-être, ciao pantin, c’était sympa de me retourner les ongles la nuit en pensant à ton dernier texto, mais cette fois je passe mon tour, j’ai d’autres choses à vivre, d’autres merdeux à tester. Je te vois te faire marcher sur les pieds, tes chaussures de clown n’ont plus de semelles, la meuf te marche sur les chevilles maintenant, elle te fait tourner autour de toi et chercher ta queue, comme un bon chien bien élevé qui devient dingue d’être délaissé, et toi tu restes là, en bon abruti de base, les genoux qui s’entrechoquent et la mâchoire en dedans.

Ca marche aussi pour les filles, complètement émasculées de toute volonté propre, prêtes à tout négocier, à tout envisager, à tout justifier, à mettre des mots sur les absences, sur les silences, sur les oublis, elles transforment la réalité, et tout devient un putain de film en 3D, bien sur qu’il pense à moi, seulement il n’a pas le temps, bien sur qu’il m’aime, seulement il est trop écorché pour le reconnaître, bien sur qu’il tient à moi, seulement il a besoin de baiser tout ce qui bouge, c’est un sanguin, il a du mal à se contrôler. Un peu comme toutes celles qui vouent leur existence à transformer Hank Moody en soccer dad, celles qui voudraient sauver les autres, tout le temps, qui t’envoient des paillettes à la gueule quand tu chiales, comme si tout se réparait à la peinture et au mastic, avec une jolie paire de chaussures et une nouvelle couleur de vernis, celles qui refusent les dimensions multiples et les différences profondes d’idées et de manières de penser, celles qui pensent être saintes et apporter un peu de grâce à notre monde intérieur si défraîchi, ceux et celles que j’emmerde, du plus profond de ma couenne.

Peut-être que j’en attends trop, peut-être que ma propre relation au père, peut-être que mon histoire, peut-être que mes convictions, peut-être que si ma tante en avait, mais quelque soit le genre du partenaire, et d’ailleurs quelque soit le genre de partenariat, du cul, de l’amour, de l’amitié, et toutes les nuances de gris en dedans, je reste persuadée qu’il y a une formule qui fonctionne pas mal : quand c’est cool, c’est cool. Voilà le secret. Je vous le livre. Ne le répétez à personne. Il est incroyablement puissant et terriblement convoité par tous. Depuis des millénaires, les hommes, les femmes, les amibes et les robots cherchent à percer le fonctionnement social du kiff. On a voulu tous se la donner à la Stendhal, on a soupiré longtemps en épépinant des renoncules dans des jardins à la française, on a chanté des sérénades grotesques aux pieds de balcons endormis, on a chialé dans le métro parce que Roberto annulait pour ce soir pour la troisième fois cette semaine, on a perdu des centaines de kilos, on a filé des tunes au Gym Tonic du quartier pour des cours d’aerobic auquel on a jamais assisté, on a pris l’avion, on a pris le train, on a changé, on s’est frappé la tête contre les murs de ton indifférence (toi même tu sais), on s’est persuadé que le bonheur n’existait pas,  qu’il durait trois ans, qu’il sentait la merde, que la vie était souffrance et que les relations amoureuses devaient laisser des cicatrices si elles comptaient vraiment, qu’il y avait une fierté stupide à avoir survécu, à en avoir chié, tout ca pour rien, tout ca pour nos jolies gueules d’égoïstes en fait, tout ca pour avoir quelque chose à raconter. Et puis la peur aussi, celle de lâcher prise, de laisser partir ce qu’on tient, même si ca pourrit peu à peu dans le creux de ta main, tu serres le poing plus fort, parce que sans ça, y’a plus rien, juste ta paume vide et tout à refaire, tout ce que tu as donné, tout ce que tu t’es inventé, tout ce qui s’est passé, tout ça pour rien. Et alors, putain.

Tu vas où quand tu pars ?

Je ne sais pas ce qui me fait partir là bas, la nuit, les yeux ouverts, quand rien ne bouge, juste l’écran sale de mon ordinateur, une chanson en boucle que je n’entends plus, le bruit de la chasse d’eau qui n’arrête pas de fuir, et dans mes yeux la falaise et la mer, la plage des mes étés de petite fille, les escaliers en bois qui craquent et l’odeur des serviettes qui sèchent sur le banc vermoulu de la cour en gravier. Les odeurs sont celles de l’été, mais les images sont en hiver, je vois le sable mouillé par la pluie, la plage vide, le radeau échoué, au loin l’hôtel biscornu planté là comme par hasard, mon point de vue est toujours le même, c’est le chemin de ronde, celui qui monte en rentrant du port. La barrière blanche fatiguée empêche les curieux de se jeter sur les rochers, et mon esprit flotte quelque part entre le sol et le ciel, en résidence secondaire. J’ai cette photo animée imprimée dans la cornée, en tâche de fond, et je ne m’en débarrasse qu’après plusieurs mouvements de paupières, bien conscients, comme s’il fallait partir, m’aider à décoller de mon point d’observation, fini la récré.

Flippée comme je suis du moindre événement corporel, je devrai déjà être en train de dévorer les forums et le Vidal à la recherche d’une possible pathologie, d’un cancer du nerf optique ou d’une tumeur maligne. De toutes façons, quelque soit ton symptôme, Google te diagnostique toujours le Sida, le cancer ou une infection urinaire. Et te propose toujours de te traiter à l’aide de médicaments achetés au Mexique, ou par l’insertion de produits courants de consommation dans différents orifices. Cette fois, je passe mon tour, je ne cherche même pas. Je fais mon petit voyage intérieur, je m’envoie ma petite carte postale, tranquille. J’ai mon billet de retour, je rentre quand j’ai envie. Je choisis pas encore tout à fait l’heure de départ, mais tant que ca ne m’arrive pas au rayon Charcuterie ou en pleine session de recrutement, ca ne me gêne pas vraiment.

Le plus étrange dans cet état demi-second, c’est que je suis parfaitement bien. Parfaitement rien. C’est l’immobilité qui me sort de ma veille prolongée, les yeux qui piquent d’être restés ouverts. Vieille chouette. Je ne crois pas aux esprits, je ne crois pas aux fantômes, aux manifestations, mais je me demande parfois si je n’y vais pas vraiment, pour un court instant. Si ma tête ne s’échappe pas, ne voyage pas, ne me quitte pas. Elle prend le vert, quelques micro-secondes. Elle va regarder les mouettes, retrouver son pote Julien qu’elle avait avant. Le temps de quelques respirations. L’iode, l’air marin, il paraît que c’est très bon.

L’horloge agoraphobe

Grosse, grosse, grosse obsession du temps. Celui que je perds. Celui que j’ai perdu. Celui que je ne rattrape pas, celui qu’on ne rattrape plus.Celui qui file trop vite. Celui qui s’en va. L’impression de ne jamais se réveiller au bon moment, comme si mes yeux restaient fermés pendant tout le film pour s’ouvrir au générique, dans la salle vide, juste bonne à ramasser le pop corn sale sous mes pieds, déplier ma veste et rentrer. Procrastination ultime, compter les secondes qui me séparent de la minute d’après, comme si le passage de la grande aiguille sur le trait suivant pouvait tout bouleverser, penser à attendre, attendre pour penser, et puis finalement ne rien faire et se distraire de l’essentiel, par trouille massive de la seconde d’après, de ce qui pourrait se passer si j’osais. Reculer pour mieux sauter, connerie, plus tu recules plus le départ de course s’éloigne, plus tu le fantasmes, plus il se déforme et se noie, plus tu rames pour revenir, pour te rapprocher, pour repartir.

J’ai perdu beaucoup de temps à m’observer. A me demander si j’allais bien. A me demander si je tournais rond. A m’assurer que j’avais raison de penser que j’allais bien. Que je tournais rond. A m’inquiéter de la moindre douleur, du moindre changement, de la moindre humeur. Je me suis observée sous microscope, découpée sur lames, cerveau, corps, coeur. J’ai appris à m’adapter à quelqu’un que je ne connaissais pas vraiment. Je me suis découverte autrement, avec de nouveaux outils, avec de nouveaux mots, de nouvelles théories. Tout ceci faisait sens, pour une fois, pour la première fois peut-être. Je ne regrette donc pas ce temps d’apnée, puisqu’il me permet de poser des mots sur ce qui m’habite, puisqu’il me permet, à long terme, de me sauver. C’est juste très long, justement, ce long terme. C’est trop long, quand on voudrait l’immédiat, le tout de suite. Je suis pressée d’être, de vivre, de sortir, d’achever ce que j’ai commencé, de commencer ce qui me m’attend, juste là, juste après tout ça. J’ai quelques pas à faire, quelques pas seulement, ils sont encore trop difficiles pour l’instant. Il faudra bien qu’ils cédent. Pas possible autrement.

Il y a aussi les pas, les vrais, ceux qui mènent quelques part, dans le métro, vers des amis ou nulle part. C’est un drôle de truc l’agoraphobie. Ca vous prend comme ça, sans prévenir. Le jour d’avant, tu fais la fête, tu vas au bureau, tu vis ta vie, tu ne penses à rien. Le jour d’après, aller chercher le courrier te demande un effort d’une journée. Ton coeur s’emballe, tes mains se serrent, tes pieds se contractent, tes bras refusent de t’obéir. T’es là, comme une conne, derrière ta porte, la clé à la main, incapable de sortir. Spasmophilie, tétanie, magnésium, on m’aura tout dit. Tu luttes comme tu peux, tu te bourres d’anxiolytiques, tu prends plus le métro, tu passes ta vie en taxi, tu leur craches ton loyer, jusqu’à ce que ton corps refuse même de t’autoriser à sortir de ton lit. Ecrasée par la mort, rétamée sous tes draps, tu respires plus, enfin, c’est ce que tu crois. Et puis tout le monde se fout un peu de ta gueule. Les crises d’angoisse, ma petite dame, tout le monde en fait, faut pas vous inquiéter. Ouais ouais. Et l’impression de devenir cinglée. Mais vraiment. Tout devient flou. Tu perds la tête. Ce qui te semblait simple hier, aujourd’hui c’est l’enfer. Aller chercher des clopes. Faire des courses. Parler aux gens au téléphone. Et la peur. De ne plus jamais pouvoir respirer. Et le monde de dehors, celui qui t’échappe, celui qui continue de boire des coups, de s’aimer, d’apprendre, d’aller au ciné. Sans toi. Et le monde de dedans, et ton appart qui pue la mort, et toi dedans. C’est marrant l’agoraphobie, ou alors, pas tellement. Mais si j’en parle ici, c’est que ca va mieux maintenant.

Et ne rien dire

Se plaindre en silence. Insulter le mug qui tombe sur le parquet. Des larmes inutiles pour une chanson aux basses un peu trop profondes, à la voix un peu trop dense. Des mots en moins, alors qu’il faudrait en dire trop. Des mots en trop, voilà quelque chose qu’on ne pourra pas me reprocher. Cela ne m’arrive pas. Je ne parle pas. Les quelques récepteurs chairs de mes émotions parlées sont triés sur le volet. Pour le reste il y a ce putain de clavier. Ce putain de carnet. Et puis surtout la boule au ventre, à la gorge, à la jambe, la boule-ventre, la boule-moi, la bouffe comme pour m’empêcher de parler, encore, me faire taire en me remplissant le gosier, on ne parle pas la bouche pleine tu sais. D’abord tu t’empêches de penser que c’est aussi simple, la relation dedans-dehors, contenu-contenant, parce que tu aimerais être plus compliquée. Et puis tu arrêtes de bouffer, de façon volontaire, pour prouver le contraire, et tu mords l’oreiller, remplir ta bouche pour l’empêcher de dégueuler.

J’ai envoyé un mail, à une amie, perdue depuis deux ans. Je lui demandais pardon, pour le silence, justement. J’ai essayé de lui expliquer. Je n’y suis pas arrivée. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle m’accueille, bras ouverts, fille prodigue. Je voulais juste lui dire ces deux ans, m’excuser. Je crois qu’elle aurait préféré ne rien entendre. Elle se demande ce que j’attends d’elle. Je n’attends rien. Qu’est ce que je peux répondre maintenant ? Rien. Elle me renvoie, à juste titre, l’image brute de ce qui me rend invivable. Cette image que je tente d’adoucir. Je ne trompe personne. Même pas moi. Je pourrai lui reprocher de ne pas prendre en compte mon histoire, mais après tout, pourquoi le ferait-elle. Qui a dit qu’on comptait les points. Le lien est brisé. Son ton est sec. Je suis celle qui a manqué, à son devoir d’amie, à ses obligations de camaraderie. Elle a raison. Je suis une merde. Rien de nouveau sous le soleil.

Depuis ce mail, j’ai l’ego dans les talons. Je me piétine gaiement. J’ai l’impression que l’acide de mon estomac vient me ronger la mâchoire. Retour de la boule noire.

Celle qui avouait ne pas aimer le porno.

Tout le monde regarde du porno, il paraît. Les hommes, les femmes, les petits et les grands. Du porno hétéro, du porno gay, du porno légal, du porno interdit, avec des animaux ou des nains, de l’amateur ou du sérieux, du Californien ou du Roumain. J’ai découvert ma sexualité avant Internet, et sans abonnement aux chaînes spécialisées du cable, ou même à Canal. Je te parle d’un temps où les sex-toys n’étaient pas vendus chez Monoprix, où les capotes coutaient 1 franc, et ou le comble de mon imaginaire érotique se limitait aux Nuits Fauves. Mon lycée était exclusivement féminin, et si nous parlions beaucoup de mecs, nous étions finalement assez prudes. En terminale, sur 25 élèves, seules 2 rebelles avaient perdu leur virginité.

Elles étaient bien sur l’objet d’un questionnement intense, mais plutôt sur le thème de la douleur et de la gestion de l’agenda parental, plutôt que sur celui des positions à adopter ou sur l’usage de gel lubrifiant. Je suis pourtant de cette génération Doc et Difool, rompue aux mots du sexe, mais ca n’avait pas eu l’impact prévu par Famille de France et les autres associations de protection de l’enfance. Nous savions que la pornographie existait, mais elle était encore cachée sous les blisters honteux des magazines pour routiers des aires d’autoroute, dans les coins interdits aux mineurs des video-clubs. Le sexe, ce n’était pas le porno, encore, c’était tout autre chose. Enfin c’est ce qu’on se disait.

Je suis relativement vieille, ou relativement jeune, question de point de vue, mais jusqu’à l’arrivée de l’ADSL dans ma vie, je crois n’avoir jamais vu de scène pornographique. J’avais feuilleté une fois Union, le mensuel des échangistes qui posent nus sur leurs tracteurs, mais j’avais trouvé le contenu plutôt grotesque qu’excitant. Mes jeunes amoureux ne m’ont jamais parlé de leurs goûts en matière de films de boules, par respect à l’époque sans doute. Et puis, magie des grandes ondes, le porno s’est démocratisé. Le porno, et puis les mots du sexe, le commerce du sexe, le commerce autour du sexe. Tout est sexe sur Internet, pour peu qu’on se trompe d’une lettre ou d’une fenêtre. La faute à qui ? A la demande et au marché, sans doute. Il est devenu normal de demander à son mec son genre préféré. Son tag parfait. Il est normal d’envisager de pimenter sa relation à l’aide d’un vibro à billes vibrantes et vitesses multiples. Ca l’était sans doute aussi avant, mais c’était beaucoup plus compliqué, il fallait souvent se contenter des modéles exquis de masseurs pour joues vendus par La Redoute dans le gros catalogue, juste après les pages lingeries. Rien n’est plus tabou, puisque tout est accessible.

On dit que les américains deviennent obèses car ils ont accés à l’offre la plus hallucinante du monde en matière de junk food. Je me demande parfois si nous ne devenons pas obsédés de pornographie juste parce que nous y avons accès, en libre service, de nos ordinateurs, de nos télévisions, de nos smartphones. Boulimie de cul, de petits et de gros, de seins et de bites, de curiosité, de situations, de scénarios, de hard et bondage, de snuff et de hentai, spirale masturbatoire infinie, puisque l’industrie se renouvelle sans cesse, soucieuse de capter la rétine hyper-active montée sur gland des clients masculins majoritaires.

Je n’aime pas le porno. Cela ne veut pas dire que je méprise les actrices, les acteurs, ceux qui participent à l’industrie de « l’adult entertainment », ceux qui aiment ca, ceux qui adorent, pas du tout. Bien sur, je rêve que les hommes (je le répète, ils sont majoritaires) puissent choisir de se distraire sexuellement sur des films propres et bios, sous entendu produits dans des conditions légales correctes, avec des actrices respectées,bien payées, des cadences de tournage leur permettant de ne pas se blesser, avec des acteurs évitant de se bourrer de produits pour bander, et des conditions sanitaires parfaites. Mais c’est un autre combat, un autre sujet. Je n’aime pas le porno, parce qu’il ne m’excite pas. Il ne remplit pas, pour moi, sa fonction d’outil de masturbation, puisqu’il me suffit de 32 secondes pour jouir, si j’ai envie, mon corps répond assez bien, pas besoin d’autres stimulis. Il ne remplit pas non plus sa fonction d’outil fantasmatique, je n’ai pas trouvé de pornographie qui réponde à mon univers, qui enclenche quelque chose, qui me donne envie de réaliser dans la vraie vie, de passer à l’acte, de reproduire.

Mes rares promenades à Pornoland se résument plutôt à des moment de #WTF total, où je tente de m’imaginer comment cette video sur Xhamster mettant en scène un couple de roumains niquant devant leur berger allemand sur un canapé défoncé peut récolter tant des clics et de litres de foutre. Ou alors, je vais voir des choses extrêmes, mais qui ne sont finalement que des match de catch, beaucoup de cris pour rien, et qui me font finalement rire. Il y a les jolies images, collectées par certains, les gifs animés, mais elles aussi me font l’impression d’une collection Panini, ou d’un calendrier des Dieux du Stade qu’on accroche quelque part. Ca ne marche pas pour moi, et je me fais parfois l’effet d’une connasse rétrograde. Tant pis.