Et ne rien dire

Se plaindre en silence. Insulter le mug qui tombe sur le parquet. Des larmes inutiles pour une chanson aux basses un peu trop profondes, à la voix un peu trop dense. Des mots en moins, alors qu’il faudrait en dire trop. Des mots en trop, voilà quelque chose qu’on ne pourra pas me reprocher. Cela ne m’arrive pas. Je ne parle pas. Les quelques récepteurs chairs de mes émotions parlées sont triés sur le volet. Pour le reste il y a ce putain de clavier. Ce putain de carnet. Et puis surtout la boule au ventre, à la gorge, à la jambe, la boule-ventre, la boule-moi, la bouffe comme pour m’empêcher de parler, encore, me faire taire en me remplissant le gosier, on ne parle pas la bouche pleine tu sais. D’abord tu t’empêches de penser que c’est aussi simple, la relation dedans-dehors, contenu-contenant, parce que tu aimerais être plus compliquée. Et puis tu arrêtes de bouffer, de façon volontaire, pour prouver le contraire, et tu mords l’oreiller, remplir ta bouche pour l’empêcher de dégueuler.

J’ai envoyé un mail, à une amie, perdue depuis deux ans. Je lui demandais pardon, pour le silence, justement. J’ai essayé de lui expliquer. Je n’y suis pas arrivée. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle m’accueille, bras ouverts, fille prodigue. Je voulais juste lui dire ces deux ans, m’excuser. Je crois qu’elle aurait préféré ne rien entendre. Elle se demande ce que j’attends d’elle. Je n’attends rien. Qu’est ce que je peux répondre maintenant ? Rien. Elle me renvoie, à juste titre, l’image brute de ce qui me rend invivable. Cette image que je tente d’adoucir. Je ne trompe personne. Même pas moi. Je pourrai lui reprocher de ne pas prendre en compte mon histoire, mais après tout, pourquoi le ferait-elle. Qui a dit qu’on comptait les points. Le lien est brisé. Son ton est sec. Je suis celle qui a manqué, à son devoir d’amie, à ses obligations de camaraderie. Elle a raison. Je suis une merde. Rien de nouveau sous le soleil.

Depuis ce mail, j’ai l’ego dans les talons. Je me piétine gaiement. J’ai l’impression que l’acide de mon estomac vient me ronger la mâchoire. Retour de la boule noire.