La Gardienne

A Paris, les gardiennes ont leur nom gravé dans le cuivre, sur une petite plaque au dessus de la boîte aux lettres de leurs appartements en rez-de-chaussée.  Elle ne sont pas seulement responsables du parfum quotidien senteur Eucalyptus de nos parties communes, elles sont aussi factrices, repasseuses intermittentes, arroseuses de plantes, kapo de la porte d’entrée, chien d’alerte pour adolescents qui fument en cachette, ministre de la rétention du paquet La Redoute, et secrétaire générale d’une vaste entreprise visant à nous emmerder la vie si les étrennes distribuées ne sont pas à la hauteur de son souhait. Dans une ville où il faut dépenser à peu près 1000 euros pour espérer pouvoir faire pipi dans son logement et pas sur le pallier, il faudrait encore donner 10% du montant de son loyer à la Reine du balais rétractable et de l’arrosoir troué. J’ai toujours pensé qu’une boîte de chocolats était plus représentative de ma reconnaissance et de mon adoration, ceci explique peut-être mon image faussée de cette noble profession.

Ici, en GBP, (Grande Banlieue Pourrie), être gardienne, c’est un peu plus compliqué. Il ne s’agit pas de veiller au bien-être d’une dizaine de propriétaires ou de locataires, mais d’assurer la propreté et la sécurité d’une dizaine de bâtiments des années 1960, entretenus par un syndicat immobilier semblable à une mafia sicilienne, pur racket organisé de populations désargentés et mal éduquées. On ne connaît pas le nom de notre gardienne, d’ailleurs on la croise rarement, elle passe son temps à aller d’un immeuble à un autre en tirant derrière elle un chariot-SAMU-premiers-secours, balais, brosse, pince coupante, clé de rechange, aspirateur et désinfectant industriel pour pipi dans l’ascenseur. Je sais juste qu’elle habite dans la tour à droite de chez moi, et qu’on peut la joindre sur un portable à heure définie par avance, chaque immeuble devant respecter un créneau horaire donné. Elle occupe également la position enviée de Pompier Officieux Volontaire, puisqu’elle est en première ligne sur nos feux de poubelles et nos voitures cramées. La gardienne, faut pas l’emmerder avec tes paquets, tes mômes qui chialent trop fort ou ton courrier qui arrive en retard, c’est pas son métier. J’adorerai voir la tronche d’une concierge à caniche du 15ème découvrant qu’un individu vient de chier dans sa cage d’escalier à rambarde en fer forgé. J’enverrai bien toutes les teigneuses qui m’ont pourri la vie en stage d’immersion ici, juste pour voir, juste pour rire aussi.

La seule discussion que j’ai jamais eu avec ma gardienne concerne sa poitrine. C’est étonnant. Elle me chope en bas de chez moi, pendant que j’essaie de trouver mes clés à l’intérieur de mon sac. D’un air complice, elle me demande ou j’achète mes soutifs. Parce qu’elle a mal au dos, la gardienne, tu vois. Elle en a marre de balader sa poitrine massive, elle pense à l’opération. Mais moi j’ai pas l’air d’avoir mal au dos, même qu’ils ont l’air de tenir drôlement bien. Elle devrait peut-être essayer ceux des 3 Suisses, qu’elle me glisse. Page 68. Mary Of Sweden, sous-vêtements thérapeutiques. Je lui ai conseillé de continuer ses recherches plutôt que de s’arnacher d’un corset pour seins couleur chair. Elle est repartie tout de suite, elle voyait bien qu’elle n’avait pas d’alliée en détresse mammaire. Depuis on se salue de loin, l’air entendu. On sait qu’on a des gros seins, on partage le frottement du pic de la baleine sous l’aisselle. Et ca vaut plus que toutes les étrennes.

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