Country Living

Viens passer le week-end à la campagne, ca te fera tellement de bien, respirer du bon air, les petits oiseaux qui chantent le matin. Ouais, ouais. T’oublie juste qu’à 22h tout le monde est pieuté, qu’il y a une grande branche d’arbre de merde qui frappe contre la fenêtre, en rythme avec le vent qui fouette les volets. T’es dans un lit qui sent quand même un peu le renfermé, avec des vieux draps brodés dans lesquels tu peux facilement imaginer que l’arrière grand-mère a accouché, dès que tu te retournes le matelas en laine se met à couiner, si tu vas pisser tu réveilles tout le monde parce que tu connais pas encore les bonnes lattes du parquet.

On te vante les petits déjeuners de l’ami Ricoré, petite famille sympathique rassemblée autour de la toile cirée, l’odeur du pain grillé et du beurre salé, mais moi tu vois je dors jusqu’à midi, j’ai pas envie de mettre les bottes aigles vertes que tu m’as prêté, j’ai assez donné en balades en forêt, je vois pas l’intérêt d’aller me perdre entre deux rangées de chênes, marcher dans les feuilles qui pourrissent et chasser les renards qui montrent le bout de leur nez. D’ailleurs j’ai plus de clopes et le tabac le plus proche est fermé, il ne me reste plus qu’à essayer de rouler ce paquet de Drum oublié par un de tes invités, scotchée entre la cheminée et la télé, j’veux pas faire de Monopoly; j’veux pas t’aider à désherber, j’aime pas la nature, je chie sur l’oxygène, je frôle l’intoxication au gaz carbonique, tous ces arbres qui me respirent dans le nez, ca me panique, ca me donne envie d’appeler Mondial Assistance et de me barrer.

Bien sur c’est charmant, les enfants sont tellement contents, les joues rouges d’avoir trop joué, le déjeuner terroir qu’on sert sur la table de ferme de l’entrée, c’est délicieux, c’est authentique, mais putain ce que je m’emmerde, mes bouquins finis sentent déjà l’humidité, par la fenêtre de la cuisine un putain de champ à perte de vue, pas une bagnole qui passe, pas un bruit normal, pas de sirène, pas d’avion, pas de voisin qui tousse, juste la nature hostile, la boue qui colle à tes semelles, l’herbe mouillée sur laquelle tu glisses comme une merde, dans ma tête j’ai dix scénarios pour m’échapper, mais je peux pas, ca se fait pas, c’est pas poli de prétexter que ta grand-mère vient de décéder juste pour éviter de mettre un ciré et d’aller au marché.

Dans quelques heures je ferai semblant d’être triste, de regretter, d’avoir l’angoisse de quitter ce petit cocon si douillet, seulement j’en peux tellement plus que je ne sais pas si je vais arriver à bien jouer, j’ai juste envie de voir une station service, l’autoroute et le périph, prendre le métro et revoir la gueule triste des parisiens, l’odeur de la Gare du Nord et le bruit qui ne s’arrête jamais, déballer mon sac et m’apercevoir que mes vêtements puent la fumée, la cheminée et la cambrousse, tout laver à 90° et voir l’ennui se dissoudre dans la mousse.