Impossible légèreté de l’être.

Putain ce soir je voulais écrire bonheur, j’avais pris des bonnes résolutions, ca suffit de parler de chatte et de fion, je voulais écrire joli, je voulais écrire léger, je voulais parler d’un dimanche au soleil quand tu bois trop de rosé, quant ta tête devient coton et que tu bouquines sans arriver à lire, que t’es avec tes potes et que le temps passe vite, mais lentement, que t’as mal à la tête mais que t’es heureux, parce que la vie est douce, parce que tout va bien, parce que tu penses à rien, qu’il n’y a que l’instant, pas de lundi dans ta tête, pas de responsabilités, de dilemmes, de choix, rien à penser, rien à dire d’ailleurs, juste allumer ta clope et regarder les autres parler, contemplation muette d’un truc presque parfait.

Y’a une expression en anglais que j’aime bien, la déprime c’est un chien noir, y’a un bouquin d’ailleurs ”shoot the damned dog”, où l’auteur raconte sa déprime, sa descente dans le magma dégueulasse du rien, et la manière dont elle survit. J’ai abattu mon gros chien noir il y a quelques années, après avoir passé six mois enfermée chez moi à attendre, littéralement, la mort. Je me souviens encore des minutes sur mon réveil, chiffres rouges qui s’arrêtent, le temps ne passe pas, tout est figé, ton cerveau ne répond plus, tout est une épreuve, te lever, te laver, téléphoner, impossible, position latérale de sécurité pour ton cortex, tu es au bord d’un truc bien laid et tu te regardes sauter, mais tu n’en finis jamais de sauter, pas de loi de la gravité dans la dépression, tu sais quand tu sautes et tu pries pour t’écraser, parce que si tu t’écrases c’est fini, tu peux enfin passer à autre chose, ne plus avoir le vertige, ne plus rien ressentir, couper au cutter tes terminaisons nerveuses, découper tissu par tissu la membrane qui entoure ton crâne et recommencer.

Ce soir le chien noir est de retour, enfin pour être vraie, son fantôme se balade quelque part, pas assez mal pour avoir peur vraiment, juste assez pour me rappeler sa présence, ce truc latent en toi qui refait surface, prêt à t’en foutre plein la gueule, te balancer en boucle les images de tes manques, de tes souffrances, film gore et pathétique de ta vie ordinaire, caméra à l’épaule, poltergeist du passé, et si seulement t’avais pu dire quelque chose, si seulement tu avais crié plus fort, si seulement tu étais moins conne, moins naïve, moins sensible, si tu t’étais écoutée, et si on pouvait changer est-ce qu’on ne referait pas exactement les mêmes erreurs finalement, est-ce qu’on ne reprendrait pas les mêmes chemins foireux, parce que t’es faite de ça, aussi, parce que tu te construis contre, si on te retire tout ça, finalement qui tu es, à quoi tu sers.

Je ne crois pas qu’on décide d’être heureux, je crois qu’on prend ce qu’on peut et qu’on gueule en attendant que ca recommence, peut-être que ce soir j’ai juste envie d’arrêter de gueuler, pour exister, pour me faire remarquer, pour ne pas qu’on m’oublie dans un coin, enfermée à la cave comme quand j’avais 8 ans par mon père qui avait soudainement oublié que j’existais, tu frappes sur la porte décatie et personne ne t’entend, pourtant dehors ca bouge, juste derrière cette putain de porte, il y a des gens, tu hurles et personne ne t’entend, tu pleures mais ils sont occupés, tes poings dans la porte, au bout d’un moment tu arrêtes, parce que ca ne sert à rien, parce qu’ils se souviendront que tu es là, peut-être, et qu’ils ouvriront la porte, tu n’as plus qu’à attendre, résignée, gelée, assise sur la plus haute marche de l’escalier, l’oreille collée au panneau d’agglo qui part en miettes, j’ai attendu une heure, une heure c’est rien, mais je m’en souviens, mythe fondateur de l’histoire de mes manques, je ne veux rien oublier, et je ne veux pas qu’on m’oublie, jamais, en bien, en mal, je veux prendre de la place alors je grossis, lutte pour la survie, plus tu occupes l’espace et plus on te voit, plus on te remarque, et si on te crache dessus tant pis, au moins tu existes, on te reconnait, tu es la grosse fille de quelqu’un, la grosse copine, tu n’es plus rien.

Tout à l’heure j’irai bien, et j’aurai chassé le fantôme du chien noir, j’aurai changé de playlist, d’humeur, tout va bien, tout ira bien, et même si ça foire, si tout devient plus noir, plus trouble, plus pénible, je sais que j’irai bien, parce que j’ai un putain de chien noir au cul, qui vient dans mes rêves la nuit et qui m’emmerde toute la journée, qui me force à réaliser que le pire est peut-être passé, qu’on survit, à tout, même à ce qui t’as tué, un peu, un morceau de toi, ca repousse, ta carapace s’endurcit et tu prends du plaisir à te sentir mieux armée, moins fragile, demain sera peut-être meilleur, peut-être pas, mais toi t’es là.