Le bruit et la fureur

L’impression d’être dans la ouate. Les bruits du dehors comme muets, la voix des autres comme éteinte. Le monde qui continue à bouger, à travers les fenêtres, à travers les rideaux, les allées et venues des voisins, le téléphone qui sonne, le temps qui change, les heures qui défilent, mais à l’intérieur, rien ne bouge. Quand je ne vais pas bien, mon cocon me permet de survivre, au sens primaire du verbe, juste continuer à respirer. Mon horizon se réduit aux mètres carrés de mon appartement, et à la centaine de mètre qui me sépare du tabac le plus proche. Le reste de la ville, le reste du monde, tout me paraît hostile, anxiogène, dangereux. Je continue à lire, je continue à être virtuellement sociable, mais ce sont mes seules fenêtres, mes seules issues de secours. Ouvrir mon courrier devient une épreuve ingérable, alors je laisse s’empiler les catalogues, les factures et les invitations dans l’entrée. J’ai peur de me laisser contaminer par un mal étrange, par une maladie foudroyante si  je me frotte à la réalité. Je m’enferme à l’intérieur de moi, en attendant que la vague vienne s’écraser, que l’angoisse me laisse un instant me reposer.

Je vais mieux maintenant. Et je me rends compte de l’immense injustice, du sentiment d’impuissance laissé par ces moments hors du monde. Les amis vont et viennent, la plupart décrochent, les gens se marient, sortent, se rencontrent et s’aiment. Les films continuent à sortir, les livres d’être écrits, les lieux où il faut être changent, se transforment, la vie n’a pas tout à fait le même goût, le monde continue à être, sans m’attendre. Ni le bon, ni le mal, ne prennent le temps de me laisser les rattraper. Au delà de l’effort important que je dois produire pour me sortir de la ouate, il faudra aussi me réadapter, payer les factures entassées, régler les conflits, expliquer mon silence, expliquer qu’on peut me faire à nouveau confiance, que je suis revenue, que j’espère rester, demander pardon, pour les absences, pour les manques, pour les loupés. Assumer ces quelques semaines en autarcie, les déguiser avec une phrase ironique, une mauvaise blague ou un mensonge, dire la vérité seulement à ceux qui voudront bien l’entendre, me laisser la possibilité de revoir un printemps, en septembre, pour la rentrée.