Pas drôle

Le blocage devant le clavier, ca m’arrive rarement. Pourtant, depuis mon anniversaire, je n’arrive pas à écrire. J’ai sorti des notes que j’avais en brouillon, rafistolé quelques trucs que je devais envoyer, mais c’est tout. Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, ce qu’on pense clairement s’écrit facilement. Je ne pense pas clair. Je ne trouve pas de mots pour le dire en français, en plus. J’ai une “debilitating pain” qui me colle au ventre, qui me fait hurler pour de vrai, qui me fait vomir ma colère, ma hargne, ma douleur. Une douleur sourde qui voudrait crier, voilà la meilleure traduction que je puisse trouver. C’est dire l’état de mes neurones. Je végète dans un état semi-contemplatif. Je regarde la plaie s’ouvrir, j’observe les vers et les pourritures en sortir, je la regarde se nécroser, doucement, surement.

Je commence à croire que j’ai hérité d’une putain de malchance congénitale. Un don pour la tristesse, une aversion à la douceur. Quand je crois que je vais y arriver, quand j’arrive à rassembler mes forces pour me lancer, je me prends un nouveau paquet de merde en pleine face. Et la merde sèche, se craquèle, pourrit et s’immisce sous ma peau pour ne plus me quitter. Une couche de plus. Après tout pourquoi pas. Qu’est ce qu’on pourrait rajouter sur le constat de mon accident perpétuel ? C’était pas de ma faute, j’avais pas vu le panneau à la sortie de l’utérus, c’était mal indiqué. Bien sur c’est un peu ma faute. J’ai fait des erreurs, j’ai fait des choix contestables à l’arbitrage. J’essaie de prendre ma part de merde, pour me sentir responsable, pour ne pas avoir cette impression horrible d’être un corps noyé balayé dans une vague, sans jamais arriver à reprendre pied, sans jamais se sauver. Le plus joli compliment qu’on me fasse est de me dire que j’ai un putain de caractère. Cela prouve au moins que je ne me suis jamais laissée faire. Que j’ai toujours essayé. Que j’ai fait de mon mieux. Parfois bêtement, avec l’enthousiasme du jeune scout, mais toujours de mon mieux.

Encore une fois, il va falloir vaincre, conquérir, se battre, y arriver. Une nouvelle fois, surmonter l’épreuve. Pour combien de temps ? Combien de semaines de repos avant la prochaine tempête, avant la prochaine mort, avant le prochain malade, avant le prochain revenant, avant la prochaine trahison, avant le nouveau pétage de plombs. Avant la bataille, je me retire en asthénie, le pays merveilleux de la fatigue si forte qu’elle t’empêche de penser, ce lieu si particulier qui gomme tout raisonnement logique, tout besoin, toute envie. Ne rien brusquer, ne rien envisager d’autre que le sommeil comme porte de sortie. Toute autre proposition sera refusée par le Komintern, pas la peine d’essayer. Comme ce hamster enveloppé de coton, qui kiffe bêtement la chaleur, je n’aspire qu’à être un rongeur heureux. Pour l’instant. En attendant que la douleur me permette de récupérer la parole et le verbe, la rage et puis la vie.