Sans queue ni tete ni cul

Il est une heure du matin et le petit voisin turc ne dort toujours pas. Ce môme ne dort pas, toutes les nuits, sa mère s’enferme  sur le balcon pour fumer, il la rejoint et lui raconte ses secrets, moi j’entends tout, juste à côté, ca n’a aucun sens, et puis souvent je ne comprends pas, juste la musique de leur duo, rauque et aigu, l’odeur de la fumée qui imprègne notre air commun. J’arrête la musique, j’enlève le casque pour les écouter, ca me berce, ca me donne envie de chialer aussi, et puis quand j’ai arrêté d’être niaise et pure ca me donne envie de hurler, qu’il est tard et qu’ils pourraient la fermer, que les enfants doivent dormir et que si ca continue je vais sévir. De la voisine dépressive et attendrie à la folle furieuse, quelques minutes seulement, à la mesure du dégoût qui monte doucement.

J’ai toujours eu des problèmes de voisinage. A Neuilly, mon voisin voulait me mettre sa main dans la gueule, parce que je riais au téléphone après 22h. A Montrouge, ma gardienne avait déclaré une fatwa sur mes colis, et passait son temps à appeler les flics pour les aboiements de mon chien. A Paris, la famille du dessus prenait un plaisir incroyable à balancer ses slips sales dans ma cour, et venait les réclamer à 6h du matin, n’hésitant pas à me taxer un café au passage. Ici, tout va bien, on se supporte tous, on se dit bonjour, le monsieur antillais du troisième étage me souhaite de très bonnes fêtes toutes les semaines, je n’ose pas le contredire, c’est charmant, il n’y a que le petit turc qui ne dort jamais pour m’énerver, ce môme un peu gros et un peu sale, toujours la morve au nez et le ballon qui tape en rythme contre le mur dans l’entrée.

Il y a sa sœur aussi, qui adore me dire bonjour, parce que je lui réponds, et que personne d’autre ne l’appelle Mademoiselle. C’est un truc de ma mère, d’appeler les enfants Monsieur et Mademoiselle, alors je fais comme elle, je la salue avec respect, bonjour mademoiselle, elle me tient la porte, elle m’attend, merci mademoiselle, ca la fait rougir et elle rigole, merci madame, vous allez aux courses ? Alors elle m’attend, en haut du petit talus de la résidence, et quand je rentre du tabac quelques minutes après, elle me dit bonjour une nouvelle fois, et le cérémonial recommence, bonjour madame, bonjour mademoiselle, merci mademoiselle, au revoir madame. Elle reste derrière moi quand je monte les escaliers, j’ouvre ma porte et elle est là, sur le paillasson, je vois bien qu’elle essaie de voir ce qui se passe chez moi, elle appelle le chat qui évidement ne vient pas, je lui demande si elle veut rentrer, mais elle ne vient jamais, elle reste longtemps devant la porte à observer, je suis obligée de lui fermer sur le bout des pieds.

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