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Carte Postale de Bretagne

La mer, amas cellulite vague dune sable, le sel, serviette élimée crême périmée cendrier canette, un rocher, les autres, leur odeur, l’impossibilité de fuir les corps, si présents dans l’espace, si couverts d’habitude, si dénudés à présent. De la rue au sable, quelques mètres, no man’s land, mélange de ceux qui enlèvent leurs chaussures et de ceux qui les remettent, on range son sein, on réajuste son sexe, on se gratte la raie, on laisse nus les enfants. Ils peuvent eux courir sur le parking tout torse dehors, sauf les petites filles passées trop vite trop grandes, celles là sont couvertes ou se couvrent d’elles mêmes, la pudeur, la modestie, l’habitude peut-être. Les tétons sont vite sexués, à trois ans Virginie porte déja un erzats de bikini, les balconnets de mousse gorgés d’eau remontent sous son menton et ne couvrent rien de ce qu’il faudrait déja cacher, sa chair est tendre et griffée à force de rabaisser l’étoffe détrempée sur sa chair, elle mime déja l’adolescence et traite de bébé ceux qui osent jouer dans l’eau en slip, sans s’en soucier. Grandir c’est couvrir les morceaux qui dépassent ou qui pourraient faire envie, prendre conscience de sa chair comme une arme de séduction ou comme un fardeau à porter, se faire proie ou chasseresse dans un labyrinthe biaisé.  Chez les enfants pourtant, chez les petites filles d’abord, les copies conformes de nos vêtements d’adultes me paraissent grotesques et dangereux, les empêtrant dans des noeuds et dans des tissus collants qui gênent leurs mouvement et les catapultent sans explications dans les obligations à s’asseoir les jambes croisées ou à veiller à ne rien montrer. Cacher leur sexe, pour des raisons d’hygiène, de propreté enfantine, de sable ou d’apprentissage de son corps, certes. Déguiser les petites baigneuses en poupées à volants, les alourdir de vêtements à soigner, leur enseigner qu’il est plus important de ne pas se tâcher plutôt que de bien jouer, non merci. Le genre viendra leur pourrir la vie, demain à l’école, au sport, à la cantine. Ne sexons pas nos enfants comme des poussins d’élevage, laissons leur le temps de trouver les travers de notre monde, entre le rose pailleté à outrance des jouets genrés et les sports de garçons qu’elles regarderont du bord du terrain, supportrices du dimanche et faiseuses de sandwichs attitrées.

Les soirs de week-ends, on ouvre ici la boîte de nuit, sorte de cave recouverte de skaï pour adolescent-es gominés et attifés, on s’y rend comme en pélérinage, on met les plus beaux habits, on tremble devant la porte sur le rythme des basses qui écrasent les méches ourlées des filles brushées. Ils n’ont pas 18 ans, mais tout le monde s’en fout, elles ont 16 ans et ca suffit, peut-être moins, les traits se distinguent moins bien sous les couches de fond de teint, une cigarette à la main, l’air de jouer sa vie sur un signe du videur, tout se joue entre le fumoir et la sortie, on vérifie une dernière fois son gloss, on suce une sucette pour se donner un genre, on paie 6 euros, c’est parti. Je me sens centenaire à les regarder, vieille et cynique, je pourrai être la mère de ce petit dur au crâne rasé qui s’enquille des tequila pour avoir l’air moins bête, j’ai fait pareil,  il vomira tout à l’heure, et ca fera des souvenirs pour la rentrée, la soirée sera re-écrite, racontée cent fois dans le car de rammassage vers le lycée de la grande ville. Ici on trouve de l’héroïne, de la cocaïne, on se drogue à la campagne plus tôt et plus dur qu’à la ville il me semble, pour tromper l’ennui, pour se sentir vivre, pour faire son expérience, on fume du mauvais cannabis sur la plage en se pensant hippie. Internet n’a rien changé aux adolescences chiantes, aux dimanches sans rien à faire d’autre qu’à traîner, à l’envie d’avoir une mob pour rejoindre sans contrainte la ville d’à côté, aux parents qui ne comprennent rien et à l’envie d’hurler. En ville comme ici, les cliques de ceux qui ont, de ceux qui n’ont pas, de ceux qui paraissent, et de ceux qui voudraient bien avoir l’air, les beaux et les moches, les gros et les drôles, la même attitude flasque et bavarde, la même posture dans l’attente. Que la vie commence, que les parents partent en vacances, que les résultats tombent, que le permis soit passé, que les boutons disparaissent, attendre d’être soi, de découvrir ce qu’on voudrait et ce qu’on ne pourra pas avoir, se prendre sa vie rêvée en pleine face, abandonner, recommencer, refaire, partir d’ici puis revenir, s’asseoir sur la plage et regarder la mer.

Les cheveux bleux se promènent sur la digue après le déjeuner, scène d’une promenade digestive sur le port, ils marchent en couple, ceux qui survivent ensemble se tiennent le bras et marchent à petit pas, les veuves avec les veuves, les veufs avec leurs chiens. On se rappelle comment c’était avant, le nouveau port et le nom de ce café qui a fermé, on se raconte les étés qu’on passait, quand les enfants étaient là et quand ils venaient alors, quand les petits enfants se satisfaisaient encore d’étés passés dans la torpeur des confitures maisons et du club de plage, quand l’autre est mort et que sa femme a suivi juste après, on montera au cimetière demain, si le temps le permet. Les vieux vivent en vacances comme au travail, il y a des horaires et des itinéraires, on mange à 13h pile pendant le journal, on attend deux heures avant de se baigner, on mange des huitres les mois en R, et le poulet roti chaque lundi du marché. On se couche tôt, pour profiter le lendemain, mais demain c’est pareil qu’hier, les courses, le journal, la télé, la promenade sur la digue, les mots croisés. On vient en train quand on ne peut plus conduire, on pourrait mais on a peur, les gens roulent comme des fous, on laisse l’auto au petit fils, on fait avec la vue qui baisse et les jambes qui fléchissent dans la montée vers Shopi, c’est la vie. On espère que tout se passe bien dans l’appartement parisien, que la gardienne arrose les plantes, ca sentira le renfermé quand on rentrera pour la rentrée, puisqu’il faut rentrer même si on a plus rien à faire, même si tous les rendez-vous sont annulés. Ici c’est l’été, là bas l’hiver, parfois une croisière, on reste actif même si on a plus rien à faire.

La maison

J’ai toujours aimé compter mes pas. Avant les recommandations de l’OMS, avant l’appli Santé, j’aime compter quand je marche, les pas et les creux, les lignes et les traits. Les chiffres prennent des couleurs, des notes, j’aime mieux les multiples de trois qui donnent pairs que les multiples de deux trop évidents, il y a une hiérarchie des nombres dans ma tête, un podium des associations mathématiques magiques, une symphonie de 18 et de 48, tantôt roses, parfois bleus, je ne m’arrête pas orange ou violet, 215 ou 511 jamais. Quand j’étais petite, mes jambes plus courtes comptaient plus vite, les mêmes trajets aujourd’hui me demandent moins de chiffres, je mesure les années au nombre de pas que je gagne à ma foulée, ma forme et mon envie à la vitesse des additions, quand il faudra ralentir et compter plus doucement, la vieillesse arrivera, je reprendrai les mêmes pas qu’à 7 ans avec des jambes plus grandes, j’aurai mathématiquement régressé. Dans la station balnéaire de mes étés d’enfant, les trajets sont les mêmes, mes jambes ont poussé, je compte à peine, je connais par coeur, les virages et les montées. Ma chambre de jeune fille du deuxième est vide, j’habite la chambre rose du premier depuis que je suis grande, depuis qu’un garçon a été présenté aux pierres et au granit, à ma mère et à ma grand mère, à mon enfance et au matelas en laine des chambres vides toute l’année.

J’aime l’odeur de cette maison, celle du papier peint humide et de l’eau salée, celle du parquet et des draps propres rincés par la pluie au moment de sécher. J’entends le tic-tac de la grosse horloge bourgeoise du salon, même si elle a arrêté de toquer il y a des années, le bruit est dans ma tête, elle sonne encore les heures et les quarts d’heures, on la remonte avec une grosse clé rouillée, au coeur de la vieille dame, perché sur un tabouret. Le vieux fauteuil défoncé, toujours monopolisé par les adultes, que je peux maintenant réclamer de manière légitime, je suis grande moi aussi, tu vois, j’ai droit, on s’y asseoit par ordre d’âge, sauf quand on est trop vieux pour en sortir, la terre est basse, les os craquent, on préfère une chaise, comme les enfants, naufrage ordinaire des corps qui ne peuvent plus s’abandonner à la mollesse. L’odeur du gaz sous les casseroles et les allumettes qu’on cherche toujours, la manie de mon père de remettre celles qu’il craque dans la boîte, les oeufs brouillés à la tomate de ma grand mère, ses jupes culottes clownesques et ses Mephistos increvables, la boîte à couture dépliable, la crème anti ride L’Oréal, la liqueur de fraise et la brioche au beurre salé, les hortensias crevés du jardin et les chats du quartier, ma mère assise sur le perron, cigarette à la main, je mélange les meubles, les murs et les habitants, les histoires, les anecdotes, les odeurs, cette maison c’est chez moi, comme ceux qui passent dedans un moment. Cette maison est à moi, je le sais maintenant.

Je ne crois pas avoir été jamais malheureuse ici. Ou alors pas beaucoup, ou pas assez pour que je m’en souvienne. Tout coule, tout est toujours pareil ou presque. Le moindre changement fait grand bruit, refaire un pièce, faire construire une bibliothèque, se séparer de la cuisinière au charbon vieille de 30 ans, tout est négocié avec nos mémoire, de quoi pourra t on se passer, de quoi peut on priver nos habitudes, comment remplacer quelque chose sans ne rien changer de la saveur particulière de nos étés. Cette maison me protège, elle veille, elle conserve au frais les mémoires de ma famille, elle renferme les objets qui ouvrent les vannes des souvenirs cachés, elle provoque les discussions nocturnes, les arbres généalogiques sur un coin de nappe, les aveux et les larmes des drames vite oubliés. La table modulable de la cuisine a vu passer les hordes d’adolescents affamés, les vieux couples, les disputes, les cartes qu’on tire pour se faire peur, les séances de spiritisme, le trivial pursuit sacré, des milliers de petits-déjeuners, des kilos de haricots verts équeutés. Tout me rappelle à moi dans cette maison, ce que j’étais, ce que je suis. Sans juger, sans me faire de procès, me faire remarquer que j’ai pris du cul ou que j’ai tout raté. Cette maison m’attend, elle est contente quand je viens, croyez ce que vous voudrez. Et elle a hâte de me voir l’année prochaine, pour voir si j’ai changé.

Pro sexe pro rien

Cet article parle principalement de relations hétérosexuelles.

Je me questionne beaucoup ces jours ci (comme c’est pédant de dire ca ahah) sur le féminisme pro-sexe, sur les films pornos « féministes etc. Ma réflexion est évidemment déclenchée par le documentaire d’Ovidie « A quoi rêvent les jeunes filles », qui a le mérite d’interroger la norme hetero patriarcale qui vient infiltrer nos initiatives les plus militantes. Je ne peux pas le regarder sans penser à cet article du photographe et modèle Dwam sur les Suicide Girls, qui explique clairement en quoi une entreprise qui se voulait féministe se transforme peu à peu en entreprise tout court, créant une nouvelle norme du queer ou du alternatif politiquement correct. Un peu comme les cheveux pastels sur les jolies filles cet été, ces teintures n’ont rien de transgressives, les crêtes des punks sont bien loin, on reprend les codes d’une contre culture militante pour l’édulcorer et la dissoudre dans la norme. Pas d’handicapé-es moteurs ou mentaux, pas de gros-ses, pas trop de racisé-es, dans les productions « féministes », les personnages identifiés comme féminins sont queer, tatoués et piercés, minces blancs et valides. Toustes présentent une sexualité débordante, baiser sans entraves, jouir partout, cupcakes vulves et ateliers de création de sextoys « féministes », l’injonction à baiser pour exister toujours présente, il faut que le corps exulte, c’est comme ca qu’on se libère, voilà le message. C’est difficile de s’exprimer contre ce message, car il ravit tout le monde. Les féministes pro sexe se sentent validées par l’idée de la libération des femmes par le corps dénudés et l’activité sexuelle, et le patriarcat profite largement des productions photographiques ou vidéos comme outil masturbatoire, et  la libération des corps multiplie l’offre des partenaires et les sexualités ludiques à découvrir. Les femmes, elles, restent pourtant seules à assumer les conséquences de cette « liberté » à jouir et à se montrer : contraception, grossesse, avortement, « réputation », répression policière et systémique des travailleur-ses du sexe, etc. Et les autres, les femmes non belles, non normées, les gros-ses, les racisé-es, les moches, celles qui jouissent pourtant hors du champ de la caméra, dans la vraie vie, celle ci se retrouvent hors du féminisme une nouvelle fois. Et celles qui choisissent de ne pas jouir, de ne pas avoir de sexualité, celles qui lient sexualité et mariage, celles qui choisissent la modestie vestimentaire, celles qui portent le foulard, quelle place ont elles dans ce féminisme ?

Je ne crois pas en une révolution qui flatte la bite du dominant, j’ai donc du mal à comprendre ce qu’apportent les productions érotiques ou pornographiques féministes à notre libération. On m’oppose la réappropriation du corps, du sexe, l’exploration de territoires intimes jusqu’alors contrôlés par les hommes. Certes. On peut se rouler à poil dans la cyprine devant le Sénat autant qu’on le souhaitera, ca ne fera pas avancer la choucroute du droit des Femmes. Rappelons que nous n’avons même pas droit à un ministère propre. Ahem. Que les femmes qui le décident, avec un consentement éclairé, posent, se filment, jouent, travaillent à l’invention d’un porno éthique, plus représentatif des genres, des sexualités, oui, très bien. Prétendre que cela est féministe et que cela participe à l’accès aux droits des travailleur-ses du sexe, les Roses d’Acier par exemple, non. Penser que la jouissance est une donnée importante du bonheur, ok, mais pas pour tout le monde, pas toujours, et surtout, pas sur le même modèle, et les ateliers de découverte du clitoris n’ont pas empêché la fermeture de centaines de centres d’orthogénie et d’IVG en France. Le sexe n’est pas un levier de négociation féministe, on se doute qu’on obtiendra pas l’égalité salariale en acceptant (en se taisant) une promotion canapé (un viol donc), on imagine donc qu’on ne convaincra pas les dominants de lâcher leurs jouets en les invitant à un spectacle de pole dance (qui est un sport, pas du tout un exercice de séduction, les saviez vous). Faut il pour autant décréter que le pole dance, la production de matériel pornographique mettant en scène des femmes, et tout activité permettant l’accès à la sexualité des femmes ou à sa représentation par les dominants est anti-féministe ? Je pense qu’il faut y penser. Et envisager que le seul levier d’action dans la sphère du cul contre la domination masculine en milieu hétérosexuel soit la privation totale d’accès à la vulve, l’arrêt de toute production à visée masturbatoire. Extrémiste vous disiez ? Hystérique ?

Le sexe, l’acte ou sa mise en scène, ont dans notre société des conséquences trop graves pour les femmes, et pour les individus, pour que nous, les militant-es, nous laissions aller à penser qu’il est suffisant d’en parler très fort, de le montrer sur grand écran ou d’y penser sous un angle féministe, pour déclencher le changement profond que nous attendons. Tout n’est pas sexe, on revient de Freud comme on revient de tout. Ce n’est pas le sexe, et la mise en scène d’une nouvelle norme, qui nous donnera l’égalité. Ce n’est pas en oubliant que les femmes peuvent choisir de ne pas montrer leurs corps, de ne pas avoir de sexualité ou de la réserver à un partenaire qu’on avance. Ce n’est pas en laissant des femmes sur le côté que nous arriverons à une révolution féministe. Et ce sexe, que nous mettons partout à la sauce samouraï-feministe, ne se sépare jamais de ses influences patriarcales.  Certaines pratiques, comme le BDSM, montrent vite leurs limites quand elles sont pratiquées dans un environnement non déconstruit : les femmes sont soumises, et les hommes qui sont excitées par l’idée de la soumission à une femme sont considérés comme des traîtres à leur camp, des  »pédés », des sous hommes. On ne s’étonne pas qu’une femme dans un rapport hétérosexuel soit excitée par la violence, les mots crus, on se revendique volontiers salope. Il ne s’agit pas d’interdire à nos partenaires de nous traiter comme des petites chiennes lubriques dans un jeu érotique consenti, mais de se permettre de penser que la facilité avec laquelle les femmes acceptent des conditions de rapports sexuels violents ou dégradants, ou les réflexes de conditionnement qui les poussent à mouiller quand on les insulte ne sont pas innocents, mais s’ancrent bien dans une tradition misogyne et patriarcale de soumission aux hommes. En fait, le souci consiste à pouvoir continuer à baiser avec des hommes cis après une épiphanie féministe : il devient impossible de ne pas déceler domination, misogynie et sexisme dans sa vie publique comme dans sa vie privée, continuer à coucher avec l’ennemi est difficile, en tant que féministe hétérosexuelle c’est un paradoxe lourd.

Re, Rémy

Salut Rémy,

C’est Daria, tu sais, enfin non tu sais pas, Disons que je suis une personne avec des seins et un vagin, que je me déplace dans l’espace public et que j’ai le droit à la parole, un peu mais pas trop. Y’avait ton pote Guillaume PLEY qui s’amusait à rouler des pelles de force à des nanas dans la rue, par la force ou par la surprise, y’avait tout plein de Youtoubeurs américains qui s’improvisaient guides en séduction et qui mettaient en branle toute une rhétorique de la manipulation pour niquer. Ok. Et puis y’a toi, le mec qui se déguise en chien pour mimer des positions sexuelles. T’as gagné. Tu peux monter sur ton petit podium en forme de teub, t’as la place numéro 3, juste sur la couille droite, on va te poser une couronnes de cols de l’utérus séchés sur les oreilles, t’es le César de la misogynie, l’empereur de la culture du viol. T’aime pas hein, cette expression. Culture du viol. Ca te fait bien chier qu’on puisse parler de viol, de violeurs, d’agressions sexuelles, alors que toi, pauvre mec, tu fais ca pour rigoler. Tu fais ca pour faire rigoler. Tu fais rigoler avec l’idée qu’on saute sur une personne en public pour lui imposer un acte sexuel. Tu peux bien te déguiser en chien ou en licorne tu sais. Tu fais rigoler avec l’idée du viol. Ca te dérange pas. C’est pas la première fois que tu te sers de ce ressort comique. Se frotter à des inconnu-es, par surprise, se filmer en train de pénétrer leur intimité, c’est facile, ca marche bien, des dizaines de milliers de vues pour le courageux Rémy, le Flash Gordon des roupettes, pas vu pas pris, qu’est ce qu’on se marre putain.

Moi j’ai perdu espoir. Je sais que tu ne changeras pas. Pas d’épiphanie glorieuse et féministe pour Rémy Gaillard. Pas d’auréole de repentance. Non, tu vas rester un connard, je suis à l’aise avec ce concept. Parce que tu n’as aucun intérêt à changer. Ce que tu fais, ce que tu mets en scène, ça fonctionne. Tu gagnes même ta vie avec l’idée qu’il est drôle d’agresser sexuellement des individus dans l’espace public. La société dans la quelle nous vivons, toi le connard misogyne, moi la féministe, cet espace que nous partageons, va dans ton sens. Les personnes socialement reconnues comme des femmes sont des objets. Tu la connais l’histoire. Je vais pas te refaire le coup de l’inégalité des salaires, de l’éducation genrée, du nombre de décès de femmes battues, de la contraception masculine, du plafond de verre… Je vais faire taire mes belles velléités de pédagogie, je vais arrêter de prêcher dans le désert. Tu t’en fous. Tu fais toi, comme disent les ricains. Ta gueule, ta tune, ton succès. Et tant pis s’il faut enfoncer les portes de stéréotypes meurtriers pour y arriver. Tant pis si tu perpétues l’idée qu’un vagin est objet pénétrable sans autorisation préalable. Tant pis pour les adolescents, les adultes mêmes, qui trouveront fort à propos de faire une Rémy GAILLARD en se frottant contre leurs amies, leurs sœurs, leurs collègues. Tant pis pour toutes celles qui ont senti un jour un pénis dur et étranger venir se frotter puis éclabousser le tissu de leurs pantalons, de leurs jupes dans les transports en communs et qui ressentent de la honte, de la colère, de la peur. Tant pis pour celles qui ont été pénétrées par un sexe masculin alors qu’elles n’étaient pas consentantes, par surprise, par emprise, par manipulation, par peur panique de crever. Tant pis pour les victimes des tournantes de Fontenay, tant pis pour mon amie au périnée déchiré par son violeur. Tu t’en fous Rémy. Et tu veux pas qu’on t’explique. Tu veux pas entendre. Tu veux juste faire des vues sur Youtube. Ok.

Je vais juste te dire ceci, Rémy. Si un de tes petits cons, si un de te disciples vient à se frotter, vient à agresser, vient à reproduire ton comportement demain, déguisé en nain de jardin ou en cosmonaute, ne t’étonne pas des conséquences. Ne t’étonne pas des lames, des objets de défense, des gazeuses, des poings, des dents, des claques, des larmes, de la stupéfaction, des plaintes. Nous n’avons plus le sens de l’humour. Nous ne l’avons jamais eu. Nous nous laissions faire, nous rions car nous n’avons pas d’autre choix. Le temps est venu de poser les masques. Le temps est venu de se défendre. Chacune avec ses moyens, chacune avec son arme, nous nous préparons. Nous devenons plus fortes chaque jour, nous apprenons à dire non, à crier NON, à hurler NON. Notre consentement n’est pas à prendre. Notre consentement n’est pas facultatif. Notre envie de répondre grandit. Nos moyens de réponses aussi. Le temps des discussions, des négociations, des jeux de rôles, tout cela cesse, tout cela s’arrête. Nous exigeons le respect. C’est pathétique. Nous en sommes réduites à exiger le respect de nos intégrités physiques dans l’espace public. C’est dramatique. Nous devons, en 2015, réclamer l’égalité de traitement entre hommes et femmes, encore. Nous devons en 2015, répéter, rabâcher, décortiquer les idées brunes des ennemis du genre. Encore. Nous devons, aujourd’hui, dire que nous ne laisserons plus faire. Qu’une par une, nous dirons NON. Aujourd’hui ou demain, chacune selon son rythme. Nous ne voulons plus faire rire de nos trous ouverts à la consommation publique. Nous ne voulons plus que nos organes sexuels soient des fétiches guerriers à afficher. Nous voulons rendre les coups. Nous voulons faire taire. Nous voulons vous obliger à nous respecter, puisqu’il est impossible de vous arracher la moindre évolution volontaire. Alors Rémy continue.

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Le non malheur

Je me demande à quel moment exactement les choses arrêtent d’être précieuses. A quel moment exactement l’extraordinaire devient ordinaire. Quel est le mécanisme de nos désamours, de ma flemme, du petit mur de béton qu’on se colle juste derrière les paupières pour s’éviter de se faire mal ? Parce qu’au bout des choses, rien ne sera parfait. Rien ne sera comme on avait prévu. Tu fais des plans, D.ieu se marre. C’est l’ATD sur ton compte qui t’empêche de partir en week-end, c’est le cancer qui te fait crever avant la retraite, c’est le caillou dans ta chaussure, c’est ton conjoint qui te trompe, c’est des tas de milliers de toutes petites ou énormes raisons qui font tout foirer en permanence. Parfois tu ne contrôles plus rien et tout va mieux pourtant. Jesus take the wheel. Tu rencontres des gens qui semblent sincérement s’intéresser à toi, tu passes une bonne soirée au détour d’un bar de merde, c’était pas écrit, c’est le mektoub ou le soleil qui rend les gens plus tendres, prêts à te sourire plutôt qu’à t’ignorer, peut-être que c’est moi qui change aussi. Jusqu’à quand ? Est ce qu’il faut décider que tout ira mal, et choisir en conscience de prendre le meilleur, d’être prêt à en chier pour les parenthéses enchantées, quand tout s’emboite et se coordonne sans efforts, sans lubrification articielle aux rictus forcés.

Ou alors on décide que tout ira bien toujours. Et que rien n’est trop grand, trop indestructible, contre la volonté et le système D. Qu’il va falloir se battre, sans cesse, pour tout. Mais que ca vaut le coup. Pour son amour propre, pour se dire qu’on arrive quelque part à la fin du chemin, qu’on ne gesticule pas en vain. Il faut du courage pour s’investir dans cette quête là. Il faut se lever chaque matin en attendant le meilleur.. C’est une posture qui ne me vient pas naturellement. J’attends le pire, toujours. Je suis heureuse quand personne ne meurt. Encore une belle journée. Encore une victoire pour Super Blasée. Je pensais que c’était une caractèristique de mon trouble anxieux. C’est en fait un trait de personnalité. Je me réjouis du non-malheur bien plus que du bonheur. Ca me fait plein de petites occasions d’être contente. C’est le plaisir ironique cheap de la meuf enclavée dans la certitude qu’il va se passer quelque chose de terrible, tout le temps. Ca me permet de grands sourires quand ma grand-mère répond au téléphone, chouette, elle n’est pas étendue seule dans sa cuisine en train d’agoniser. Parce que c’est comme ca que je me la représente, quand je compose son numéro. Etendue raide et suffocante sur le lino beige, regadant le téléphone sonner, incapable de se relever. Le pire, toujours. Et le soulagement, parfois.

Je ne sais pas ce qui est le plus facile à vivre. Mon pessimisme m’autorise une posture snob. Mais décréter que tout ira mal, toujours, c’est aussi une technique de froussarde. Je me prépare au pire parce que je le crains. Les baffes énormes que je me suis prises dans la gueule ces derniers mois de me donnent pas envie de m’exposer sans armures à mes semblables. Si tout est merde, si tout est nul, se laisser surprendre par le bon ou le joli n’est qu’un bonus génial. Plus une nécéssité, plus une raison de vivre. Je n’ai objectivement pas besoin d’être heureuse pour respirer, pour aller travailler, pour remplir à mes obligations d’humaine sociabilisée. C’est mieux bien sur. Ca met quelque chose de plus léger dans le plomb de mes baskets quand le réveil sonne. Mais ce n’est pas vital. Je ne cours pas après. J’attends qu’il me tombe tout cuit. Entre paresse et fatalité, entre le pot et le couvercle, entre la pierre et l’enclume, je ne sais pas choisir, je ne sais pas renoncer. J’espere qu’il viendra, en me cachant les yeux derrière mes doigts. Je ne le dis pas trop fort, de peur de les faire fuir, de peur de dire mon voeu tout haut et qu’il ne se réalise pas. Je prévois, je fais des listes, je regarde les issues de secours, mon siège est éjectable, mais pour aller où ? On verra.

2 semaines

Ma chérie, aujourd’hui je te serre dans mes bras, il y a quelques jours encore, je te croyais partie, vers le grand voyage des gentils qui partent trop tôt, de celui dont on ne revient pas. Alors tu pouvais dire ce que tu voulais, que tu regarderais toujours derrière mon épaule pour me surveiller, même de là haut, que tu serais toujours là, que tu m’aimais, moi je m’en foutais pas mal. Moi ce que je voulais c’était t’attraper et te retenir, te contenir de mes bras trop petits et te serrer tout fort, te retrouver pour t’étouffer de mon amour, tu voulais mourir, d’accord, mais pas comme ca, pas toute seule, pas sans moi. Et moi je ne veux pas mourir, pas du tout, même pas un petit peu les soirs de pluie, plus du tout, alors t’es obligée de rester, c’est comme ca, pas le choix. C’était difficile de te priver de la liberté de t’en aller. C’était difficile de savoir que tu allais être prise en charge par des étrangers, qui ne connaissent pas tes manies et tes envies, qui te traiteraient comme quelqu’un de plus dans un service, qui ne comprendraient pas la chance qu’ils avaient de s’occupe de toi, de pouvoir te voir, te parler, te chérir. C’était difficile de m’avouer que je ne savais plus t’aider. Que tout ce que je pouvais faire ne suffisait pas. Je suis désolée. Je me refais le film de cette journée, je me demande ce qu’il faudrait faire, ce que j’aurai du dire. Je ne peux plus relire nos échanges, je voudrais les effacer, ca viendra. Il faut que je passe à autre chose. Il faut que j’arrête d’avoir peur pour toi.

Ma chérie, ma soeur, mon sang, mes yeux. Tu as pris le temps pour m’apprivoiser. Tu m’as acceptée. Toute entière. Quand j’allais mal. Quand je ne sortais pas de chez moi. Quand le moindre pas dehors m’était impossible. Tu as pris ma main dans la tienne et tu ne l’as pas lâchée. A toi je peux tout dire. A toi, je n’ai presque plus besoin de parler. Tu sais mes angoisses, mes douleurs. Tu sais quand je me cache et quand j’en fais trop. Tu me décodes, tu me protéges, tu m’enveloppes. Tu as su voir en moi ce que je croyais mort. Tu m’as aidé à revivre. Ma confiance en toi est immense, ma loyauté presque stupide. Ni toi ni moi ne sommes parfaites, mais nous nous complétons, tu es liée à moi du dedans, les racines sont profondes, juste sous le coeur, elles passent entre les côtes pour appuyer dans le tendre. J’apprends à vivre sans toi. Sans tout te raconter de la moindre minute. Je n’ai plus personne à prévenir quand je vais chier. C’est un drame. Non. C’est juste triste sans toi. C’est juste nul. C’est juste moins drôle. Je sais que je te manque aussi. Tout ca je ne te le dis pas. Parce que c’est déja assez égoïste comme ca de le penser. Parce que tu as autre chose à foutre que de m’entendre me plaindre de ton absence. Pardonne moi de penser à moi. C’est juste que je ne sais pas quoi faire de plus pour toi. Alors j’occupe la place, en attendant. Je t’attends fort. Tout le temps. Je pense à toi.

Tu sais, si tu étais partie, j’aurai continué à t’aimer. Ca aurait été un drame. Vraiment. Je ne sais pas comment j’aurai fait. Pour gérer. Faire le deuil. Avancer. Mais j’aurai continué à t’aimer. Je ne t’en aurai pas voulu. Bien sur j’aurai été en colère, un peu. Quand même. Pour faire bien. Je t’aime de manière inconditionelle. Je te préfère juste vivante. Ca te va mieux. C’est plus gai. Je te préfère surtout heureuse. Pas masquée dans ton sourire d’à peu près. Vraiment bien, sereine, pleine de fougue, de conneries, de projets. Et je sens que t’es là, je sens ta force derrière tes yeux, je sens l’envie qui revient, même avec tes béquilles et tes doutes, avec les mauvais jours. T’es pas partie. T’es pas morte. T’es vivante là derrière. Juste secouée, déracinée. Prends le temps qu’il faudra, arme toi contre la vie dégueulasse et les gens toujours méchants, cale toi bien dans tes pompes, dors, rêve, fais le tri, oublie. Fais attention à toi, c’est ton rôle maintenant, laisse tomber les soucis des autres, arrête de nous porter. Y’a que toi qui compte là. On est tous tournés vers toi, on t’envoie nos bonnes ondes, notre amour, notre foi, on t’offre nos sourires, nos rires, tout ce qu’on fait, tout ce qu’on voit pendant que t’es pas là. On grattera longtemps derrière la porte en attendant qu’elle s’ouvre en grand, ne t’inquiète pas. On est ta famille, recomposée, déglinguée, bizarre, et t’es la notre, pas de pièce rapportée, la vraie. Reviens quand tu voudras.

Mitose animal triste

Je vais me faire une maison dans ton ventre, un deux pièces douillet pour les jours de pluie, avec du parquet qui craque et un vieux canapé déglingué, je vais rien changer, rien repeindre, juste m’installer. J’emménage petit à petit, pas sûre que tu réalises, une brosse à dent, un tapis à poils durs, du café pas trop fort, je pousse les murs, ça résiste, je pousse plus fort, ca passe. T’as pas l’air de souffrir, ca te fait pas peur, tu te laisses envahir. Une fois lovée dans ton dedans, une fois collée à toi, aux boyaux, au foie, faudra le vouloir pour m’éjecter, faudra opérer, des bistouris et des pansements, je te laisse du vide quand je claque la porte, je te laisse du rien et tu soupires. Alors peut-être que cette fois je ne partirai pas. Peut-être qu’on sera liés par les cordons dégueulasses des chairs, des morceaux microscopiques de ta peau morte sur mes doigts, nos microbes, nos miasmes, le magma biologique chaud et sale de l’amour vivant, qui fermente et qui pourrit, qui se décompose et qui refleurit.

Je sais pas pourquoi j’ai toujours l’impression que les choses doivent être sales, organiques, salies par l’usure, par le vent ou par la boue, par les pleurs ou par la pluie, pour être jolies. J’ai l’impression que je ne vois la beauté que dans l’organique, dans l’instant où j’oublie de respirer, entre deux souffles, quand on ne sait pas ce qui va arriver. J’ai pas le goût des dîners aux chandelles, sauf si on renverse, des balades en bateau, sauf s’il pleut, de l’amour propre sans tâches, sauf si tu veux essayer. J’aime bien le rose, le poudré, deux minutes, pour rigoler, ce que je préfère c’est le gris, le métal, le bois, l’odeur de l’encens des églises, celle du cuir dans ton cou, tes ongles presque carrés. J’aime faire le grand écart entre l’amour parfait, celui que j’imagine, et la réalité. Je crée quelque chose dans cet espace qui n’existe pas, que tu occupes pleinement sans jamais y rentrer, tu peux me regarder rêver si tu veux, la bouche ouverte quand je dors, les cheveux emmêlés.

Je ne suis pas une grande communicante. Il faudra deviner, souvent. Il faudra demander, tout le temps. Il faudra me sortir de ton ventre pour me faire exister, il faudra que je devienne vraie, même si j’ai peur. J’ai peur tu sais. Dehors c’est jamais vraiment bien, les silences sont moins jolis, les attentes plus cruelles, le temps ne nous rend pas meilleur, dehors je ne suis plus dedans, nous sommes deux, mitose. Je me roule dans l’avant, dans l’anticipation, je me couvre d’histoires, de possibles, de scenarii, je réfléchis. Je pense à toi. Surtout. Je pense à toi, toujours. Et toi.

Ces jours là

Y’a des jours ca va. Pas de souci. Le ventre protubérant dans la jupe stretch, le bourrelet du dos qui prend le frais, l’air aimable, je suis bonne dans le miroir. Oui mon corps est largement imparfait, des creux, des espaces, des vagues, du gras, ca pend, ca tire, ca travaille sous la peau, ca marche en stries rouges, puis blanches, puis rien. Mais je m’aime, ca vient de l’intérieur, je suis A-OK avec tout ca, au réveil la gueule en vrac, j’aime la lumière sur mes fesses plates. Je vois bien les regards dans la rue, je vois bien la panique quand je viens m’asseoir à côté de toi dans le bus, je n’ai pas maigri, je n’ai pas changé, mais je m’en fous. Mes pieds me portent là où je veux aller, mon cerveau fonctionne, il y a un rayon de soleil, j’ai des projets. Alors même moche, même sans prendre le temps de me maquiller, de me tartiner, de me contourer, de me parfumer, un vague bonnet sur la tête, à poil dans mon canapé, j’ai l’impression d’être comme les autres, dans une pub Calvin Klein en noir et blanc, être cette fille très belle à peine vétue de la chemise de son mec qui regarde la mer d’un air profond, belle sans vouloir l’être.

Et puis les autres jours. Empiler les couches de couleurs. Réduire les rougeurs. Mettre l’accent sur les yeux. La bouche, vermillon. Le décolleté, indispensable armure pour cacher mon ventre, la tenue, choisie, changée, améliorée. Les cheveux, lissés, puis bouclés, puis décoiffés, puis laqués. L’air mutin, la bouche en cul de poule, les doigts en éventail, la robe léopard, la culotte gainante, le soutien gorge ampliforme, les baskets neuves, rien ne fonctionne. J’ai l’air d’une grosse déguisée en bonne. J’ai l’air d’une moche qui voudrait faire croire. J’ai l’air de rien. Juste de la somme de mes efforts pour cacher la misére. Pour qui je me déguise ? Pour personne. Pour moi en fait, pour me faire croire que ca ira. Ca ne marche pas. Il me faudrait une appli Iphone, un genre d’egofriend informatique, qui m’enverrait de l’amour sur commande, qui me remplirait mon vide de tas de mots surfaits mais qui font du bien. Faudrait une ronde de gens autour de moi qui me crie que je suis belle et qu’on s’en fout. Faudrait un séminaire d’amour de soi, un week-end tantrique de sexe avec soi même, faudrait du yoga de l’ego, je ne sais pas. Je suis prête à tout essayer pour me sortir du marasme des jours moches, du teint gris et de la pluie qui fait tout couler mes couleurs dans mes yeux, au lieu de me rendre romantique comme une adolescente gothique.

Ce qui me rend belle pour moi c’est quand même de dormir, d’être heureuse. Le soleil aussi, c’est bête. Les légumes. La mousse au chocolat. Aimer. Être aimée aussi, pour de vrai. Quand je vois les gens que j’aime. Quand on me désire. C’est nul. Il ne faudrait pas que cela tienne à ca. J’aimerai pouvoir me détacher des yeux des autres. Couper le cordon, le manger. Ce qui me rend belle, c’est le courage, la force. Une autre forme de beauté. Ca me rend dure aussi, le visage qui se ferme, l’air concentré. Ce qui me rend sure de moi, c’est. Je ne sais pas. Ce n’est pas d’être belle. J’ai compris que je ne le serai jamais pour pouvoir m’y accrocher. Que la différence c’est bien, mais pas trop. Qu’il faudrait composer. J’en ai marre de composer. J’en ai marre de me déguiser. J’en ai marre de vouloir être belle. J’ai ai assez. Mais je ne parviens pas à ne plus le souhaiter, plus que tout parfois. Pouvoir faire taire d’un regard, pouvoir imposer par ma beauté. Ne pas avoir à me battre pour exister hors de mon corps. Ne pas avoir à en faire plus que les autres, pour compenser une tare. Ca doit être chouette d’être belle. D’être maigre. D’avoir des petits seins ronds, un cul bien bombé, mais pas gros, ferme. Ca doit être beau d’être aimé sans avoir rien à dire, juste parce qu’on est là, parce qu’on respire. Ca ne suffit pas bien sur, y’a l’intérieur, la personnalité. Oui. Mais pour une fois seulement, être aimée pour mon corps, pas juste voulue, pas juste faire bander. Ca serait bien aussi. Ca serait chiant, vite. Mais ca serait bien, là, tout de suite.

Privé-es de sexe, les féministes se repentent

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Ah. Enfin. Les Hommes, avec une grande majuscule, aussi grande que leur majestueux pénis, ont compris comment faire cesser les élucubrations hystériques des féministes. Finie la lutte pour l’égalité de salaire, pour la liberté d’être dans l’espace public, aux chiottes le choix d’enfanter ou non. Ce que veulent les harpies, c’est de la bite. De la bonne grosse bite veineuse de masculiniste macho, qui s’en foutra bien de baiser mal ou de baiser bien, de la sainte saucisse entre les cuisses. Damned. Soeurs, nous sommes démasqué-es. Nous faisions tout ça pour danser autour du totem viriliste, nous occupions notre temps libre en récriminations stériles pour nous distraire, attendant que l’Homme (le vrai, celui équipé d’un service trois pièces) vienne nous honorer entre deux réunions politiques et un match de foot. Nous ne voulions pas vivre libre, émancipé-es de nos chaînes, non non. Nous voulions vivre dans l’attente servile de nos donneurs de chibres. Il est évident que nous sommes toustes hétérosexuel-les d’ailleurs. Toustes tourné-es vers la bite, dans un élan d’adoration béat, prêt-es à abandonner veaux, vaches et cochons à la seule possibilité d’être honoré-es. Nous n’avons pas quitté nos habits de servant-es, de putains, nous n’avons rien transcendé, nous n’avons rien repris. Nous ne sommes que des ventres, attendant la bienheureuse semence.

Cela doit être très rassurant de penser qu’on peut contrôler le monde avec sa queue. Qu’on peut, d’un vague geste de la burne, stopper les révolutions, endiguer les moussons, faire tourner le monde à l’envers. C’est donc cela être genré comme un homme dans notre société. C’est être élevé, construit, dans l’idée que la queue est divine, qu’elle confère des pouvoirs extraordinaires sur les gens et les choses, qu’elle se suffit en elle même. De l’intelligence ? Mais non allons, j’ai une bite. De l’humour ? Mais je vous dis que j’ai une bite ! De la cohérence sur mon blog soit disant de gauche ? Mais lâchez mon énorme bite madame ! Alors que ceux-celles qui sont genré-es femmes par le monde passent leur vie à s’excuser, de prendre de la place, de n’être pas bien épilé-e, d’être trop maigre ou trop grosse, de ne pas travailler, allaiter, faire le ménage et surveiller le rôti dans la même journée, alors que la seule étiquette de Femme sur la poitrine suffit à gagner 27% de moins, à être cantonné-é aux emplois et aux contrats précaires, à subir les traitements patriarcaux et virilistes de nos médecins, de nos enseignants, de nos pères et de nos frères, l’individu doté d’une queue roule dans un océan de simplicité. Il est burné, il est (bien) monté, what else ? Sa bite ouvre les portes, séduit amant-es et patron-nes, scelle les contrats. Fait-elle le café le matin ? Non, il a une femme pour cela. La bite ne condescend pas aux tâches subalternes, et pourquoi le ferait elle, puisqu’elle est assaillie des demandes incessantes de femmes en manque d’être rempli-es, tout-es élévé-es dans l’idée d’une sexualité consistant à se laisser prendre-défoncer-baiser-pénétrer-habiter-détruire-casser les pattes arrières-exploser ?

« Le problème des féministes, c’est qu’elles continuent à coucher avec l’ennemi »‘, dit en substance Delphy. Le problème des féministes hétérosexuel-les, c’est aussi de s’appuyer sur la libération sexuelle comme seule pilier de l’émancipation. Cette libération sexuelle qui enchante d’abord les hommes, qui ne profitent que des avantages (plus de partenaires, de pratiques) alors que les femmes en assurent (comme d’habitude) les détails pénibles (contraception, avortement, grossesses, jugement moral). Je me mets à poil car je suis féministe a été un acte révolutionnaire. L’est il encore ? A qui profite la chair ? Je n’ai pas de réponse. Je sais juste qu’il est infiniment compliqué d’entretenir une relation d’égalité avec un partenaire masculin, et que les changements les plus significatifs pour les femmes ne sont pas seulement ceux scellés par la loi et l’Etat, mais sont aussi ceux qui arrivent dans une cuisine, dans une chambre à coucher. Qu’échapper au pouvoir de la bite n’est pas chose simple, et que cela demande une longue déconstruction, une vraie bataille envers tout ce qu’on nous a appris, ce qu’on voudrait nous montrer. Que la sexualité des femmes, telle qu’elle nous est enseignée, présentée dans le porno, est médiocre et méprisable. Nous sommes les trous. Nous sommes la passivité, cantonné-es à attendre qu’on nous propose le coït, de peur de passer pour salope, nymphomane, cinglé-e. Que la pénétration est une violence pour trop de femmes, qui n’oseront jamais le dire à leur partenaire, qui peinent même à se l’avouer, tant il est écrit qu’une femme sera pénétré-e. Alors privez nous de vos lits, messieurs du Front de Gauche, merci. Libérez nous, puisque nous peinons à le faire. Libérez nous de vos demandes, de vos attentes, des siècles d’oppression sur nos corps, sur nos désirs, sur nos envies. Plutôt privé-es de bite qu’enchaîn-ées. Plutôt écouté-es, égal-es, respecté-es que pénétré-es.

Pétrin purin

Mon ventre mou, distendu, le tien, courbe inversée, dur, poilu, volontaire, ma chair s’étale sur la tienne comme pour te recouvrir en entier. Ne joue pas, je gagne, c’est la marée noire le long de tes côtes, mon gras s’immisce dans tes creux, j’emplis tes pores de moi, je te gangrène, je te colonise, abandonne, je t’immobilise. Nous ne sommes plus que peau, tes poils sont les miens, dressés, ils finissent collés en rangs réguliers, écrasés. Siamois étranges, reliés par le nombril, tout s’ouvre et tout respire, mon pétrin purin se laisse fouiller, les fleurs grimpent le long des parois jaunes graisse, les ronces et les œillets, jusqu’à ton téton, elles s’accrochent et se livrent, jardin suspendu à ton souffle. Je vois la beauté dans l’amas de nous, dans l’absence d’air, arrêtons de respirer, fermons nos bouches, laissons nos diaphragmes bouger, lentement, écoute, c’est nous. Pas besoin de ton sexe, de ma tête, d’organes secondaires surdéveloppés, mon ventre sert à présent, je suis matrice de nos désirs, je suis le terreau et l’engrais, je nourris, plate-bande, enfin. De nos silences entrecoupés de soupirs s’élancent les herbes folles, les champs de blés couchés, remparts fragiles à ce qui pourrait arriver, cachons nous, alanguis, laissons les insectes nous dévorer, redevenons fertiles, fertilisés.

Il me semble qu’elle se manifeste là, la beauté, entre le purin et l’engrais, dans l’instant fragile entre l’horreur et la mort, entre la naissance et la terre, entre mon ventre et le tien. Elle éreinte les contrastes, elle se fout des moyennes, des obligations, elle existe et nous nous y soumettons, parce qu’elle éclate plus fort que notre médiocrité. Tu n’as pas le choix, j’ai déjà renoncé. Je ne l’attraperai pas, elle n’est pas à retenir, à enfermer, je la calfeutre dans mes chairs, je l’emprisonne de mes bourrelets, elle s’échappe, tu t’en vas, je la regarde s’envoler, elle reviendra. Ne pas être pressée. Ne pas la provoquer. Attendre, sagement, si possible sans craintes. Rêver, beaucoup, écrire, un peu, rire, encore. Elle revient, regarde là. Et ton ventre se rapproche, et ta bouche soleil. Ne plus vivre que pour l’instant d’après, puisque tout ira bien toujours, pour quelques secondes, on est capable de tout supporter, de 1 à 10, compte avec moi, coule dans mon oreille le temps à se languir de t’entendre, fond sous ma langue, avalé, digéré. Tout est organique, rien ne se perd, tout se transforme, même les regrets. Mon ventre, mon gros ventre, mon amphore, mon secret, encore, boucle bouclée.

Retourne-toi maintenant. Présente-moi ton dos, que j’y enfonce ma poitrine, que je creuse entre tes omoplates deux cavernes profondes, ma montagne. Laisse toi enfouir sous moi, laisse-moi me creuser un refuge, une étape, pour autant qu’il le faudra, pour aussi long que tu aimeras. Demain, plus tard, je reprendrai la route, je reconstruirai ailleurs les jardins et les ponts, les autels païens à mes souvenirs troglodytes. Je creuse les chapelles au scalpel dans mes cuisses ouvertes, des nefs gothiques aux chorales morbides, j’y donnes messes noires ou blanches, pratiques baptêmes et rites. Ne t’inquiète pas, je ne reste pas. Sauf si tu m’attaches. Sauf si tu m’enlaces. Sauf si tu me laisses pourrir, moi, mes fleurs purin, mes yeux et mes ongles, petit compost de sang et de kératine à tes pieds, je me décompose, c’est l’âge, il y a beaucoup à laisser vieillir, patience, je finirai bien par m’en aller.