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Peut-être

Il y a encore quelques mois, je me disais que peut-être, si tout allait bien, demain, je sortirai de chez moi. Avec un peu de chance, mon angoisse me laisserait aller faire les courses au bout de la rue sans m’écraser la face contre le bitume sale, sans oppresser mon cerveau et mon coeur si fort qu’ils implosaient silencieusement, retenus au bord de mes lèvres par ma mâchoire crispée. Peut-être, après-demain, je réussirai à marcher un peu plus loin dans mon quartier, juste quelques mètres de plus qu’hier, la boule au ventre, peut-être que j’arriverai à aller seule chez le médecin, peut-être que j’arriverai à aller prendre un café avec une amie, peut-être que je ne serai plus tout à fait malade, peut-être. Petit à petit, efforts après efforts, les peut-être sont devenus des certitudes. Des petites choses, normales, faciles, pour ceux qui ne connaissent pas l’enfer d’un appartement qu’on ne quitte jamais, la porte calfeutrée par des tonnes de peurs irrationnelles, la clé perdue dans une tête qui semble insondable, vouée à la folie. J’ai pris un vélo, puis un bus, puis un scooter. J’ai retrouvé du travail. J’ai réussi à revoir des gens, à avoir des conversations. J’ai eu de moins en moins peur de ce qui se cache dans mon ventre. J’ai pris la boule dans mes bras, celle qui se loge entre ma poitrine et ma gorge, je l’ai bercée, je l’ai rassurée. Nous sommes devenues amies. Elle me rappelle à l’ordre quand j’en fais trop ou quand je refuse de me faire du bien, quand la vie secoue trop fort, elle m’impose le calme, le silence. Elle veille presque sur moi, cette carne.

Il reste encore des choses qu’elle m’empêche de faire, elle me tord encore parfois en deux, je plie mais je ne romps plus. Je reste humble devant elle, je n’ai pas le choix, je sais qu’elle est plus forte que ma volonté, qu’elle gagne parfois, de moins en moins. Elle m’offre depuis quelques mois de jolis moments de liberté. Des jours entiers, des nuits calmes, des matins sourires. Je croule sous les possibles. Je peux aller au cinéma, au théâtre, rencontrer des gens, regarder les autres. Je peux me déplacer. Je prends même le train maintenant. Alors, mes peut-être sont incroyables, plus jolis que toutes les promesses, que tous les billets d’avions. Ils ont le goût des mandarines dans le TGV et des départs en vacances, le goût des sorties imprévues qui finissent bien, de l’air d’ailleurs toujours meilleur. Ils sont tout ce que j’enviais, avant, ils sont ces moments passer à imaginer ce que serait ma vie si je m’en sortais, si je survivais, si j’allais mieux. Ils sont amers parfois, d’avoir trop manqué, de n’avoir pas pu, d’avoir du mentir pour cacher mon infirmité à être dans le monde. Ils paient pour les excuses, les grippes imaginaires et les soucis inventés pour m’éviter d’expliquer mon existence misérable de cloitrée dans ma tête, de malade mentale, de cinglée. Ils adoucissent les rendez-vous manqués, les fantasmes de départ, les histoires imaginées par faute de pouvoir les vivre en vrai. Je regarde en arrière, et j’ai peur, d’avoir été et d’y retourner, on est jamais tranquille quand on marche au bord du précipice, mais on marche, tranquillement, le pas assuré, et si on doit tomber, on s’accrochera aux herbes folles, aux rochers, on ne se laissera pas avoir par l’obscurité.

Un jour, peut-être, je reprendrai l’avion. Un jour, peut-être, je n’aurai plus peur de saluer les gens, de dire qu’il fait beau, de démarrer une conversation. Un jour, peut-être mon corps arrêtera de me rappeler qu’il travaille en sourdine, encaissant mes efforts et mes angoisses comme un boxer, courbaturé et bleu. Un jour, peut-être, le précipice me semblera moins proche, moins évident. Un jour, j’en suis sure, je me souviendrai de ces moments de maintenant, de ce sentiment incroyable de liberté à chaque fois que j’arrive à faire quelque chose de plus qu’hier, à chaque fois que je gagne du terrain sur la boule, à chaque fois que je me retourne et que je me revois prostrée sur mon canapé. Et quand je tomberai, parce que cela arrivera, je les aurai avec moi, bien au chaud, ensoleillés des sourires de mes proches, de ma famille de sang et de coeur, de ceux qui m’accompagnent en tout terrain. Je saurais qu’il est possible de se relever. Même quand on y croit pas vraiment. Même quand on pense qu’il vaut mieux arrêter. J’écris cela parce que je veux m’en souvenir, parce que je veux me porter chance, malade ou remise, parce que je veux des possibles, des peut-être, des indécisions, des coups de sang, des encore. Parce qu’aujourd’hui, ce soir, avec la mer juste à côté, et des mouettes qui se perdent au dessus de ma fenêtre ouverte, il était bon de vivre un peu plus libre qu’hier.

Et autres contrariétés

Je m’étonne toujours de lire des femmes qui aiment être dupées. Elles adorent, il faut le croire, que l’homme se refuse pour mieux se donner, qu’il feigne l’indifférence pour attiser une flamme érotique, qu’il parle mal pour mieux les chérir ensuite. Je ne parle même pas ici de 50 Shades, d’autres le font mieux que moi. Je parle de ces situations entendues partout, au coin des zinc, dans les bus, quand les femmes parlent à l’oreille mais qu’on entend quand même ‘’il m’a rendue folle, c’était merveilleux’’. Je suis sans doute un robot un peu bête, un bulldozer du sentiment et de la relation, mais je n’ai jamais adhéré aux complications romantiques, aux attentes fiévreuses, aux mensonges charmants, aux manipulations amoureuses. J’aime aimer, et quand j’aime, j’aime le dire, et être aimée en retour. J’aime que moi oui soit franc, que mon non soit plein de sens. J’aime qu’on m’appelle à l’heure dite, qu’on pense à moi de manière régulière et tranquille, j’aime les routines molles et niaises des relations naissantes. Je ne joue pas et je suis mauvaise perdante, on ne gagne donc rien à me balader du chaud au froid, sauf à vouloir me perdre. J’ai conscience de ma valeur, et je supporte mal l’indécision et la tiédeur. J’aime être aimée comme j’aime, entièrement, sans tergiversations d’engagement ou d’amantes passées. J’aime être aimée dans le moment, avec une visibilité souple mais solide sur les jours qui viennent, sans en attendre trop, mais dans l’impatience d’y être.

Je refuse de passer du temps à disséquer les raisons profondes des points de suspensions à la fin d’un message, je ne cherche pas à savoir ce que tu fais quand tu n’es pas avec moi, je remplis mon temps sans toi et cela me va bien. Je suis alors parfaitement vulnérable aux mensonges, je ne m’inquiète jamais de rien, puisque j’aime bêtement, persuadée que mon partenaire me veut du bien. C’est un choix dangereux, mais qui me va bien. Plutôt vulnérable que paranoïaque et perpétuellement malheureuse, du moindre coup de fil, du moindre rendez-vous. Et que pourrait-on me cacher ? Une autre femme, un amant, une vie médiocre planquée quelque part entre le travail et le dîner ? Qu’est-ce que j’y peux ? Oh bien sûr, je pourrais, lire le téléphone, fouiller les poches, éventrer les boîtes mails, mais pourquoi ? Ce n’est pas moi qui me cache, qui trompe et qui ment. Ma vie à moi, continue. Et si je dois découvrir l’infidélité, c’est que mon partenaire est sot. C’est son problème, ses petits arrangements avec sa conscience, et c’est cela que je dois juger. De son manque d’honnêteté, de sa droiture, de sa personnalité. Mais certainement pas de l’usage qu’il fait de son sexe ou du temps qu’il aura passé avec l’autre. Ma vie a continué, pendant tout ce temps. Peut-être était-il dans le vagin d’une autre alors que j’étais occupée ailleurs, à penser à toute autre chose. Et alors ? Dans un vagin ou dans un cinéma, quelle différence ? Il était ailleurs, et a dissimulé cet ailleurs, c’est cela qui m’importe, pas le reste. Je suis peinée par les déclarations viciées, les emplois du temps déguisés, les valises à doubles fonds, je n’aime ni le cirque ni les prestidigitateurs, j’aime ma réalité bien rangée et bien droite dans ses bottes, laissez l’endroit aussi propre que vous l’avez trouvé en arrivant, en vous remerciant.

Je suis une gentille brute en amour, je tombe fort, j’aime vite, je ne me retiens pas. Mais l’amour ne suffit pas, c’est l’âge sans doute qui apprend cela. Je vaux plus que l’amour que je porte. Je vaux plus que l’amour qui m’est porté. Je vaux plus qu’un coup de bite. Mon cerveau, mon âme > mon cul et ma chatte. Je suis essentielle à moi. Pas les autres. Moi. Alors je vais continuer à ne pas supporter les dragueurs et leurs phrases fatiguées, les propositions de 5 à 7 quand madame est au Yoga, les gens qui voudraient bien mais ne savent pas, qui ont besoin de temps, d’espace, de faire un break ou de prendre l’air. Je vais faire exactement comme j’avais dit, en refusant de me compromettre, je ne suis pas une demoiselle à sauver, un bien à acheter, une chienne de chenil à adopter, un fantasme à éreinter, une étape d’une course à gagner, je ne suis pas en attente, je ne suis pas à défendre. Je suis éventuellement la promesse d’un contrat de bonne intelligence. C’est chiant, je sais. Ça ne sent pas la sueur et la luxure, le champagne et les bougies, la cyprine fraîche ou l’absolu. Tant mieux, ça me va.

Lecture musicale de La Petite Communiste Qui Ne Souriait Jamais

D’abord on voit une petite fille, une longue natte, une frange sage, une robe noire. Entourée par l’obscurité de la salle, elle s’élance dans sa lecture comme si elle avait attendu longtemps, derrière les rideaux, trépignant, qu’on arrive pour la regarder. Peu à peu, les gestes la transforment, graciles les mains qui entourent son corps, les bras esquissent une arabesque qu’on pourrait croire compliquée, on en voit que le début, on imagine la suite. La musique saccade les mots qui saccadent la danse pudique de Lola, elle dessine en quelques pas un ballet tout entier, on voit les gymnastes talquer leurs paumes, on entend les pas sur la poutre, les juges se lèvent quand elle s’exclame, la scène neutre devient stade. Elle chante, elle nous tourne le dos, est ce qu’elle chante pour elle, pour nous, pour Nadia, est ce qu’elle est Nadia, les mollets musclés dans des chaussures plates, à genou sur le parquet, le roumain comme si on le comprenait, l’ombre du Camarade, les images des JT de mon enfance, Bucarest, les charniers, les petites filles blondes émaciées sur des tapis de danse, les jeux olympiques, l’exigence d’une idéologie qui ne supporte pas la faute, il faut porter l’image de la réussite communiste, ne parlez pas de bonheur, c’est bien plus compliqué.

La voix de Lola, puissante ou enfantine, j’ai du mal à choisir, c’est sans doute qu’il ne faut pas. Les respirations entre les strophes, en apnée jusqu’au prochain mot, elle ne fait pas Barbara, elle chante la solitude comme elle toute seule, j’ai quelques larmes à ce moment là. Je ne sais pas donner d’âge à Lola. Est ce qu’on peut habiter dans Nadia Comaneci, même trois soirs seulement, sans que cela change profondément le dedans ? Est ce qu’on peut dire à la fois la dictature, la mort, la censure, le froid, mais aussi la vie, la fuite en avant, l’enfance, la certitude d’absolu quand on se projette tout petit vers plus grand, plus tard je serai libre ou roi, infirmière ou soldat, plus tard dans une forêt, j’oublierai qui je suis pour passer à l’Ouest, je n’aurai pas le choix. Elle dit l’identité, Lola, celle qu’on refuse à ceux de l’Est, la mémoire que nous voulons imposer, nous, occidentaux, à ceux qui se souviennent vraiment, à ceux qui ont vécu le communisme dans leurs chairs et dans leurs joies. Il nous est plus facile de tout jeter, de dire l’atroce, le ridicule, que de laisser à ceux qui savent la complexité de leurs souvenirs, de leur histoire. Elle raconte avec le souci de ne pas mentir, c’est peut-être pour ca qu’elle chante, l’émotion est plus nette parfois quand elle ne s’accompagne pas de mots compliqués. Elle t’invite dans un univers compliqué, elle ne fait qu’ouvrir la porte, à toi de faire le reste, laisse toi un peu rêver. Goodbye Lenine, j’ai le crâne en sépia, je vois les rues droites et vides des grandes cités radieuses, la Corée du Nord me revient parfois, j’imagine Nadia, je mélange tout, je m’éloigne du sujet, c’est ca aussi la force de l’objet.

La Maison de la Poésie était le lieu parfait à cette incarnation du livre. La poésie, celle qui fait un peu grincer les dents tout en brisant les coeurs, la poésie des petits riens et de la dernière goutte de café, celle de la poussière et des choses sales mais jolies, elle était là ce soir. Ca n’était pas désespérant, ca aurait pu, ce n’était pas léger, c’était dans cet entre deux confortable et familier des insomniaques, quand tu sais que ta nuit est foutue et que tu décides de veiller, de relire un livre adoré, d’écrire juste pour le plaisir, parce que l’aube semble loin et que demain sera difficile. C’était des morceaux collés sérrés ensemble de choses belles, d’abord tu ne vois pas bien l’image qu’ils dessinent, tu crois le puzzle raté, mais soudain la lumière change et les contours se forment, délimitent un instant suspendu de beauté. Elle finira en Bulgare, une chanson douce amère, pour ce que j’ai pu percevoir, ca disait peut être le contraire, comme une berceuse pour te consoler que cela soit déja fini, qu’il faille dèja abandonner Nadia et Lola dans la salle que la lumière vient déranger, dehors tout continue, j’emporte avec moi tout ce que j’ai rêvé.

On rase gratis

J’ai le désir mort né, entre mes cuisses. Une boule de poils, un kyste, gomme à mâcher mêlée de peaux mortes et de restes organiques de toi. Le long de mes cuisses, une traînée noire, je dessine, j’écris avec mes doigts, les paysages de nos amours finies, tes pieds sur le parquet, ma langue dans ta bouche, l’odeur de nos matins. Peut-être que tout est trop fort, que l’envie a brûlé mon dedans, c’est l’auto-combustion programmée de la chair après usage, je me nettoie de toi, je purifie mes draps, eau de javel et cellules mortes, sang et merde. Je ne garde rien, ni ma peau, ni tes disques. Rien qui ne te touche, rien qui n’effleure ton souvenir. C’est le grand incendie, souviens toi. I wanna go, I wanna go with you. Menteur. Menteuse. Tout fini un jour, tout s’en va. J’ai mes propres rites, le catéchisme funèbre des amants passés, poupées à aiguilles, lames qui courent sur mes poignets, sous mes ongles ta peau se nécrose, quelques grammes arrachés à ton dos hier, à brûler.

Je trouve refuge dans le nettoyage à grandes eaux, mes yeux d’abord, mes joues, ma poitrine, tout coule et fond, tout se mélange le mascara, la douleur, le crayon. Je me transforme en clown, ma bouche dégueule de rouge, j’enfonce mes doigts derrière mes yeux, le brouillard sur l’iris, les grains de sable des vacances, expier, rendre. Faire de la place pour moi, quand tu prenais tout, les creux et les vides, les trous. Mon corps m’appartient, il ne suffit pas de le crier. Mon corps est le mien, tu n’en as plus la propriété. Le tien, momifié, rigide, peine à quitter mon lit. Je le retiens. Je l’embaume, les onguents et l’acide, combien de temps faudra-t-il que je fasse pourrir, garder la lymphe et le magma des chairs, recueillir les liquides, l’essence, une allumette, je ne veux pas. Je capture ton fantôme, la flasque est pleine sur la table de nuit, le bouchon vissé serré, ne jamais oublier, laisser s’envoler les ombres, ne garder que l’extrait concentré, quelques gouttes au poignet. Le feu, les lames, le sang, ne nettoient que l’existant. Il reste l’incompressible, le puant, ta présence, ton aura, ta voix.

Le linge à bouillir, l’odeur de la lessive, faux printemps synthétique, le roulement familier et rassurant du tambour de la machine. L’odeur du café, le bruit des camions par la fenêtre entre-ouverte, le goût des pommes vertes, les draps juste changés. L’emplacement de tes poils, le compte de tes grains de beauté, tes doigts légèrement courbés, mon nez sous ton aisselle, la nuit quand je me réveille, ton visage. Le bruit de la vaisselle, Noir Désir et Toys, les promenades au bord de la Seine. Des framboises au bout des doigts, les dents au bord des ongles, viens, ne viens pas, repars, c’est fini, cette fois. Ton dos contre la porte, le bruit sourd de ton crâne sur le bois, mes mains contre  ma porte, les soupirs, ton pas qui s’en va.

La suite

Je ne sais pas comment on recommence à vivre normalement après tout ça. Les morts me hantent et m’empêchent de dormir. Les vivants m’oppressent et me donnent envie de vomir. Il faudrait être ensemble, c’est ce que vous attendez, dans votre ferveur toute neuve, dans l’indignation juste sortie du paquet. Il faudrait être ensemble, et pourtant, je ne me sens pas bien, ni dans le camp de ceux qui sont Charlie, ni dans le camp de ceux qui ne le sont pas. Il faudrait être ensemble, et #jesuisjuif fait plus de bruit aux États-Unis qu’ici. Les morts qui n’avaient rien à dire, ceux qui faisaient juste leurs courses, morts d’être nés juifs, morts de manger casher, ceux là sont moins évidents à accrocher à son revers. Les antisémites gagnent encore, vous avez honte de pleurer publiquement des juifs. Vous craignez les accusations, vous ne voulez pas en être. Nous pleurerons nos morts seuls. Nous avons l’habitude.

Vous voulez marcher ensemble, rassemblés dans la douleur. Vous proposez qu’on oublie, pour un instant, nos différences. C’est très joli tout ça. Ce n’est pas la vraie vie. L’unité nationale, avec des gens qui œuvrent à détruire ce que je défends, ce que je porte dans ma chair, non merci. Me forcer à dire que je suis Charlie, alors que je ne le suis pas, sous prétexte de compassion, non merci. Ne pas être Charlie ne m’empêche pas de pleurer, ce n’est pas un remède aux insomnies. Ne pas être Charlie me permet de pleurer les hommes, pas d’adhérer à leur travail. Je ne renoncerai pas à mon honnêteté intellectuelle, je ne cacherai pas mes opinions pour plaire à la foule qui harangue et harcèle ceux qui pensent de travers. Vous me traitez de traitre, je réponds que je le suis moins que vous, qui travestissez vos manques en panache pour quelques jours seulement. Je souhaite que les morts vous soufflent sous les ailes encore quelques temps, que vous gardiez la fougue de votre indignation contre nous, elle servira peut-être un jour les vivants.

Je ne sais pas ce qui va se passer, ensuite. Demain les enterrements, aujourd’hui les unes et ce père qui crie de douleur en serrant son fils contre lui. Il faudra faire semblant, au travail, avec les amis. Il faudra retourner faire nos courses, dans les mêmes épiceries, quelques CRS en plus devant la porte. Nous avons l’habitude, de ca aussi. Il faudra supporter que les vies enlevées à Vincennes sont moins glorieuses que celles enlevées à Paris. Il faudra lire qu’on en parle encore trop, que les juifs font trop de bruit, que c’est un complot, qu’ils l’ont bien cherché après tout, qu’à Gaza on meurt de faim, et que c’est bien normal, non ? Les amalgames ont la vie dure, les sœurs voilées sont agressées, on voudrait les rendre responsable des crimes, les juifs français sont tués, on voudrait les rendre responsables d’autres crimes, on minimise, la même bêtise, toujours. Je nous souhaite la sérénité, à tous, aux barbus des deux camps qui ont compris le Livre et qui ne tueront point, aux têtes couvertes des femmes qui ne représentent rien d’autre que leur foi, je nous souhaite la sécurité surtout, la paix.

Charlie Hebdo

J’étais en pension, j’étais adolescente. Nous lisions les livres choisis par les soeurs, le journal prêté était Le Figaro. Parfois le courrier arrivait ouvert, nous n’avions pas le droit d’écouter la radio. Chaque matin, une nonne venait nous lire un résumé des nouvelles du monde à la fin du petit déjeuner, événements choisis, sans polémique, édulcorés. Charlie Hebdo était interdit, subversif, bouffeur de curés, communiste, gauchiste, mal élevé. Mon grand-père, qui avait décrété quarante ans en arrière que Dieu était mort et que c’était bien fait, prenait un malin plaisir à me découper les meilleures caricatures du Charlie hebdomadaire pour me les envoyer, dans des enveloppes bleues pastel, qu’il scellait au scotch double face. Il résistait  à sa manière à l’envahissement de mon cerveau par la morale bourgeoise et guindée du pensionnat à l’anglaise délocalisé en forêt francilienne. Ces morceaux de papiers choisis, à l’encre grossière qui détrempait le reste du courrier, ont été mon oxygène pendant des années. Je les gardais dans un gros livre de mythologie, mon herbier aux gros mots et aux libres pensées, classés par thèmes, du plus doux au plus corsé. Charlie m’a appris à dire merde, pour de vrai.

En terminale, j’ai le droit à ma chambre individuelle, fini les dortoirs et les inspections de tiroirs. On a même le droit aux posters et aux postes de radios individuels. C’est la révolution. J’achète Charlie toutes les semaines. Les couvertures découpées rejoignent le mur au dessus de mon lit, les dessins et les caricatures sortent de l’herbier pour rejoindre le liège au dessus de l’évier. Je regarde les soeurs aller et venir, pour me dire d’éteindre la lumière ou de ranger, et poser leurs yeux sur les femmes nues de Wolinsky, sur les mecs à poils de Charb. J’ai le droit, je suis en terminale, on ne me demande pas de les enlever. En revenant des vacances de février, les murs sont vides, plus de couleurs criardes, ce jaune et ce rouge si particuliers, tout a été jeté. Les dames nues et les messieurs à poils sont remplacés par une affiche du sanctuaire de Lourdes. Je lis encore Charlie, et j’écris mort aux connes au dos du portrait de Bernadette Soubirou, avec des lettres découpées dans l’hebdo. Rebelle, mais pas témeraire. Je planque Charlie sous mes cours pour le lire tranquille pendant l’étude, j’écrirai pour demander un stage à l’été, sans retour.

J’ai arrêté d’acheter Charlie à ma rentrée en prépa. Cela coïncidait aussi avec ma rentrée dans le vrai monde. Loin de la bulle, loin de l’enfermement, parmi les gens qui pensent et qui parlent différement. Je n’avais plus besoin de m’identifier comme lectrice de Charlie rebelle aux yeux de mes camarades ou de l’autorité. J’apprenais à critiquer, même mes idoles d’avant, même mes couvertures adorées, il faut brûler vos idoles mademoiselle, pour avancer. Le temps a passé, et Charlie est devenu ce faux ami, ce journal faussement drôle, vraiment islamophobe, vraiment transphobe, vraiment misogyne. Tout cela, je ne le voyais pas ado. Je ne savais pas que les transexuel-les existaient. La misogynie était normale. Ca me faisait même rigoler. J’ai grandi, j’ai appris, j’ai écouté. Je voulais récemment qu’on aille les entarter, ou chier devant leur rédac’, pour montrer mon désaccord. Si je n’appréciais plus le travail des hommes et des femmes qui sont morts aujourd’hui, j’ai pourtant passé ma journée à pleurer, à relire leurs dessins, à penser à leurs familles, à percuter qu’on peut aujourd’hui, au coin de ma rue, mourir pour des idées. Bien sur ailleurs, cela existe, tous les jours. Mais ici, en France, juste là. Ca ne pouvait pas arriver. C’est ce que j’espérais croire encore. Merci Charlie, de m’avoir donné mes premiers merdes, mes premiers énervements militants. Merci pour les heures passées à rêver que je n’étais plus enfermée. Merci de m’avoir donné l’espoir de ne pas ressembler au modéle qu’on me proposait. Merci pour mes yeux ouverts, qui ne se sont jamais refermés.

Contrave / Mysimba: don’t.

Un nouveau médicament contre l’obésité vient d’être approuvé à la commercialisation en Europe : le Contrave / Mysimba. C’est un savant mélange de deux molécules déja connues : naltrexone HCl and bupropion.

En France, le chlorhydrate de naltrexone est commercialisé sous la marque Revia. Dans quelques pays dont les États-Unis, une formule à libération prolongée est commercialisée sous le nom commercial Vivitrol (Source Wikipedia). Le Revia est prescrit comme traitement de soutien dans le maintien de l’abstinence chez les patients alcoolo-dépendants. La durée du traitement est de 3 mois en l’absence de donnée clinique pour des durées supérieures (Source notice du médicament Revia)

Les réactions suivantes ont été signalées en cours de traitement  avec Revia :

Les classiques : nausées et/ou vomissements, céphalées, insomnie, anxiété, nervosité, crampes et douleurs abdominales, asthénie, douleurs articulaires et musculaires,

Mais aussi : Inappétence, perte de poids, diarrhée, constipation, sensation de soif, irritabilité,tristesse, étourdissement, état vertigineux, rash cutané, éjaculation retardée, baisse de la libido, écoulement nasal, douleur thoracique, hypersudation.

 Des modifications des tests hépatiques (transaminases gGt) ont été rapportées.

 D’autre part : Des états dépressifs et des tentatives de suicide ont été rapportés chez quelques sujets recevant la naltrexone ou le placebo dans les études contrôlées menées dans le cadre du traitement de l’alcoolo-dépendance. Bien qu’aucune relation de cause à effet avec la naltrexone n’ait été établie, il apparaît que l’administration de naltrexone ne réduit pas le risque de suicide chez ces patients.

Le bupropion est un psychotrope prescrit en tant qu’aide au sevrage tabagique et antidépresseur. Il s’agit d’un médicament amphétaminique, une substance proche des coupe faim (anorexigènes) comme le Mediator. Il est plus connu en France sous le nom de Zyban. Le bupropion est un inhibiteur sélectif de la recapture neuronale des catécholamines (noradrénaline et dopamine). Son action est minime sur la recapture des indolamines (sérotonine). Il n’inhibe pas les monoamine-oxydases. Le mécanisme d’action du bupropion dans l’aide à l’abstinence tabagique n’est pas connu, mais son action serait médiée par des mécanismes noradrénergiques et/ou dopaminergiques (source notice du médicament Zyban).

Entre septembre 2001 et septembre 2006, 1.831 notifications d’effets indésirables – sur 930.000 patients traités en France – ont été enregistrées par la Commission nationale de Pharmacovigilance de l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), et 520 ont été jugées graves. Les troubles les plus fréquents ont été des convulsions, des réactions cutanées et allergiques, des tentatives de suicide et l’apparition de troubles coronariens. 25 notifications concernent des décès : 16 morts subites inexpliquées, 4 suicides, 2 ruptures d’anévrisme, 2 surdoses et une insuffisance respiratoire aiguë.

Le Contrave / Mysimba est donc le mélange de ces deux molécules aux effets indésirables et aux conséquences graves. Il est autorisé à la prescription pour les personnes possédant un IMC supérieur à 30 sans comorbidités associées, ou pour les personnes possédant un IMC supérieur à 27 avec des comorbidités associées (diabète de type 2, hypertension). Son fonctionnement n’est pas particulièrement bien décrit, et pour cause, il s’appuie d’abord sur les effets secondaires mal maitrisés des deux molécules dont il est le mélange. On observe un effet coupe faim, et une relative hausse de la motivation sur la durée d’un régime, mais on ne sait pas exactement décrire les mécanismes biologiques qui déclenchent ces actions.

Mais est ce que ca marche ? Voilà la question que tous les gros-ses de France se posent, plutôt que de se demander si ca va les tuer. Peu d’études sur le long terme sont disponibles, mais intéressons nous à celles publiées par le laboratoire de Contrave / Mysimba.

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On nous présente donc deux études différentes. Il faut d’abord noter que les pertes de poids enregistrées sont liées au Contrave / Mysimba mais aussi (et surtout?) à une diète rigoureuse, à de l’exercice physique et à un accompagnement psychologique sur une durée de 56 semaines. Aucune étude ne présente l’effet du Contrave / Mysimba seul, sans changement de mode de vie du patient associé.

La première étude est plutôt en faveur du Contrave / Mysimba, les participant-es semblent avoir perdu un pourcentage beaucoup plus important de leur poids dans le groupe sous médicament. Dans la seconde, en revanche, les résultats sont beaucoup moins bons sur les personnes ayant perdu plus de 5% de leur poids de départ. Pourquoi ? Comment ? Il n’y a pas d’explications. Ca marche. Ou ca ne marche pas. Ou c’est un régime qui fonctionne, et pas le médicament. Ca ne rassure en rien sur l’efficacité des molécules proposées.

Il semble important de jeter un oeil aux contre indications du Contrave / Mysimba. Ce dernier est fortement déconseillé en cas d’hypertension (on a jamais vu un-e obèse hypertendu-e, c’est connu …), de convulsions, de prise d’autres médicaments qui contiennent du Bupropion, en cas de trouble du comportement alimentaire (un-e gros-se avec un TCA ? Ca n’existe pas, allons.), en cas de dépendance aux opiacés, ou en cas d’usage de traitements de substitution aux opiacés, dans le cas de prise d’anti dépresseurs de la classe des inhibiteurs de monoamine oxydase parfois utilisés dans le traitement de la maladie de Parkinson Sélégiline, Azilect, Deprenyl, Selegiline, Bayer Selegiline G Gam, Selegiline Biogaran, Selegiline Mylan, Otrasel en France, Wellbutrin et Cymbalta aux USA et Canada. Il est également dangereux d’utiliser le Contrave lors de la grossesse, ou lorsqu’on souhaite tomber enceinte.

Si ca ne suffisait pas à vous alarmer sur la toxicité de ce mélange, voici l’avertissement de santé publique qui apparaît sur le site dédié à Contrave / Mysimba par son laboratoire :

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Que je traduis ici :

Le Contrave / Mysimba peut être la cause d’un effet secondaire sérieux : les pensées ou actions suicidaires. Un des ingrédients du Contrave / Mysimba est le Bupropion Hcl. Le Bupropion a provoqué des pensées suicidaires ou des actions suicidaires chez certains patients, ou a provoqué des changements de comportement inhabituels, qu’ils prennent ou pas des anti dépresseurs. Le Bupropion pourrait augmenter les pensées suicidaires ou les actions suicidaires chez les enfants, les adolescents et les jeunes adultes dans les premiers mois du traitement. Si vous souffrez déja de dépression ou d’une autre maladie mentale, prendre du Bupropion peut l’empirer, particulièrement dans les premiers mois du traitement.

Arrêtez immédiatement du prendre du Contrave / Mysimba et appelez votre médecin immédiatement si vous ou les membres de votre famille ont les symptomes suivants, surtout si ces symptomes sont nouveaux, s’ils empirent ou s’ils vous inquiétent : des pensées autour du suicide ou de la mort, des tentatives de suicide, de la dépression, de l’anxiété, de l’agitation, des attaques de panique, des problèmes de sommeil comme l’insomnie, de l’irritation, de l’agressivité, de la colère ou de la violence, de l’impulsivité dangereuse, une augmentation important de l’activité ou de la parole (état maniaque), ou d’autres changements inhabituels dans le comportement ou l’humeur.

Pendant que vous prenez du Contrave / Mysimba, vous ou les membres de votre familles doivent faire très attention à tout changement d’humeur, de mode de pensée, de sentiments, et continuer à en discuter avec votre médecin. Le Contrave / Mysimba n’a pas été étudié et n’est pas autorisé pour les enfants de moins de 18 ans.

 

Résumons :

Pour faire suer le lard, on nous propose donc de mélanger deux molécules dangereuses aux effets indésirables mortels et connus. On nous propose un médicament aux interactions multiples et parfois létales. On nous vend un nouvel Alli, un nouveau Médiator qui ne nous fera pas chier du beurre et qui ne nous trouera pas les valves du coeur, mais nous pendre. Peut-être qu’ils ont enfin trouvé un moyen de se débarasser des gros-ses, par suicide collectif sous Contrave / Mysimba.

Enquête sur l’accueil des victimes de violences sexuelles

Un billet pour vous prévenir que mon association Les Dé-Chaînées lance aujourd’hui un site dédié à notre enquête sur l’accueil des victimes de violences sexuelles par les forces de l’ordre.

Nous savons que chaque victime de violences sexuelles le gère d’une manière différente. Certain-es porteront plainte, d’autre pas. Il ne s’agit pas ici de créer une injonction dans un sens ou dans un autre. Nous pensons que nous devons (malheureusement) travailler avec les pouvoirs en place pour améliorer le parcours  des victimes qui souhaitent porter plainte. Il nous est insupportable de constater qu’un pays comme la France n’a pas encore adopté les bonnes pratiques suffisantes dans ce domaines, et que des milliers de victimes préfèrent ne pas porter plainte de peur des pratiques  des forces de l’ordre.

Nous souhaitons donc recueillir les expériences des victimes de violences sexuelles qui ont passé la porte d’un commissariat. Il vous suffit d’être majeur-e pour pouvoir y répondre.

Vous trouverez plus de renseignement sur notre démarche sur le site dédié.

ENQUETE ACCUEIL VIOL

Pas mort d’homme

(TW : violences sexuelles)

Il suffit que la parole se libère, qu’une seule ose dire, pour que les autres, timidement, racontent, moi aussi, elles aussi. Elle aussi se souvient de cette nuit de chantage où il questionnait, demandait, boudait, grognait, tonnait, parce qu’elle avait ses règles et qu’elle ne souhaitait pas avoir de rapports sexuels. Elle se souvient de l’érection du garçon malgré ses refus, des yeux tristes de l’homme, pourquoi tu ne veux pas me faire plaisir, on se voit pas souvent, on est bien, juste une pipe, c’est rien. Et puis elle y a été, comme on part à l’usine, les gestes mécaniques, pour que ca cesse, pour qu’elle puisse dormir, elle a posé sa bouche sur le sexe et elle s’est laissée pénétrer, la gueule bien ouverte, la tête bien vide, ne pas y penser, cela va bientôt s’arrêter. Ce n’est pas du viol, elle n’aura pas assez dit non pour que la loi lui permette de se penser victime, c’est n’est pas du viol, elle n’aura pas crié, ca ne se passe pas dans un parking, son assaillant n’est pas ganté. Ce n’est pas du viol, et pourtant elle se souvient, les moments d’avant et ceux d’après, et le silence, pendant.

C’est aussi quand il la retourne. Quand il saisit ses jambes pour la faire valser, quand il écarte, quand il déchire les chairs pour se servir, pour utiliser. C’est aussi quand il l’embrasse, ses dents sur sa langue, trop fort, quand il la serre, c’est aussi par derrière, elle ne veut pas, tant pis, il glisse, il ne le fait pas exprès, il aura ce qu’il veut, qu’est-ce que ça coute, un peu de sang dans la culotte le lendemain, les dents qui grincent, les souvenirs surtout. Ca la prend n’importe quand, dans le métro ou au boulot, ça la prend comme un cri, ça la transperce, ça l’occupe complétement, ça la remplit. C’était rien pourtant, quelques minutes à serrer les dents, qu’est ce qui cloche alors, les poings serrés, la tête qui tourne, l’envie de mourir, tout de suite, arrêter de survivre. C’était rien, et pourtant chaque fois c’est plus violent, de se laisser faire, de compter les autres qualités, de faire l’index des bons moments, ceux qui devraient peser dans la balance, chaque pénétration comme une encoche dans le calendrier. Demain elle partira, demain elle le dira. Sauf qu’il est si gentil, toujours, parfois.

On n’a jamais dit qu’on pouvait dire non. On n’a jamais dit qu’on pouvait se lever et partir. On n’a jamais dit qu’on pouvait hurler, s’enfuir. On a dit qu’il fallait faire des compromis. Que c’était ca le couple. On a dit que les hommes préfèrent les femmes « libérées ». On a dit que le viol, c’était pour les salopes. Que ça n’arrivait pas chez soi. Qu’on l’avait bien cherché. On a dit que le sexe pouvait être violent. C’est la mode il paraît. Les bleus aux corps, comme dans 50 Shades of Grey. Et puis il n’est pas que ca. C’est un bon ami. Un frère attentif. Tout le monde l’aime Qu’est ce qu’ils diraient, les autres ? Qu’elle invente. Qu’elle rajoute. Qu’elle veut se venger. Qu’elle n’est pas très stable depuis qu’elle prend des cachets. Que les garçons sont des chiens fous. Qu’il faut pardonner, qu’il n’y a pas mort d’homme. Pas mort d’homme non. Juste des milliers de femmes, pas tout à fait mortes. Pas tout à fait violées. Pas tout à fait victimes. Des survivantes. Qui pour certaines ne savent pas qu’elles ont le droit d’exister.

Il est urgent d’expliquer aux femmes que rien n’est à supporter. Que toute violence sexuelle, même si elle ne rentre pas dans le cadre strict du viol légal, est une violence de trop. Nos partenaires ne sont pas les décideur.ses uniques de nos sexualités. Personne n’est légitime à imposer une sodomie, une fellation, une manière de provoquer l’acte sexuel. Si les hommes continuent à nous violer, si les hommes continuent à refuser de déconstruire leur virilité et leur rapport au sexe, apprenons ensemble à refuser, ne comptons pas sur leur bonne volonté. Donnons-nous les armes de l’auto défense. Et ca commence par trouver en nous la force immense de nier des années d’éducation genrée à l’obéissance. Ca commence par un NON, qu’on murmure avant de le hurler. Ca commence par la prise de conscience bouleversante que nous, meufs, sommes enfin libres de nos sexes, libre de les utiliser ou de les refuser, libres de vivre libérées de la norme d’une sexualité imposée depuis des siècles par les hommes. Ne supportons plus les allusions, les regards salaces. Ne supportons plus les gestes déplacés. Ne supportons plus la culture du viol et son imagerie sexiste. Ne supportons plus les pratiques dégradantes et non consenties choisies par nos partenaires. Refusons en bloc, toutes, chacune. Ne laissons plus passer la moindre violence faite aux femmes.

Ma grand mère

Ma grand-mère se tourne et se retourne sur le drap jaune de l’hôpital. Elle n’est pas vraiment là, mais ca ne se voit pas. Elle se ressemble pourtant, les mêmes rides, la même mèche trop blonde, le même air pincé. Sa chemise de nuit s’ouvre sur ses cuisses encore fermes, je n’ai jamais vu le corps de ma grand-mère. Je n’ai jamais pensé qu’elle puisse avoir des cuisses, un sexe. Ma grand-mère est un monolithe de tweed, asexué. Je ne lui connais pas d’émotions amoureuses. Ma mère est arrivée dans la surprise. On croyait que ce n’était pas possible. Parce que ma grand-mère était stérile, ou parce qu’elle n’aimait pas son mari, le trouble reste. Ces mots, prononcés par mon grand-père, hantent ma mère depuis l’enfance. Ils rongent ma grand-mère aussi, qui  garde la naissance de ma mère comme un trophée. Elle avait réussi. Malgré le désamour, malgré les trompes bouchées, elle avait eu un enfant. Et personne ne pourrait lui enlever cela.

Ma grand-mère n’a plus de pudeur. Elle chie sur les draps jaunes. Elle attrape à pleines mains son sexe pour le nettoyer. Et quand elle n’y arrive pas, c’est à moi de finir. Ce n’est pas le contact de la chair qui me dégoûte. Ce n’est pas l’odeur pugnace de la merde mêlée aux désinfectants hospitaliers. La vision de son sexe, de ses poils longs et bruns, malgré les années, la réalisation soudaine que ma grand-mère a été une femme, desirante, aimante, que ce sexe aujourd’hui souillé a été pénétré, léché, caressé, l’électrochoc primaire de cette vie animale de son sexe contre les électrodes, les prises de sang, les machines, et la mort juste à côté. Voilà ce qui me dégoute. La prise de conscience immonde de l’arrêt possible de la vie, à tout instant. Malgré la fougue, malgré l’envie, malgré les précautions, malgré les médicaments, les projets et les rendez-vous, tout s’arrête. Et ma grand-mère, entravée parce qu’elle refuse d’être soignée, refuse de mourir, de toute sa puissance de femme, de tout son sexe, de toute sa merde.

Elle n’est pas morte, encore. Elle est rentrée chez elle. Elle ne se souvient plus de rien. De cette journée de vapeurs, de son impudeur, de ce qu’elle a dit, de ce qu’elle a fait. Elle se souvient qu’elle n’aime pas l’hôpital, même si on y est très bien. Elle est très digne, dans sa propre chemise de nuit. Elle s’inquiète de ses cheveux sales. Elle ne veut toujours pas se soigner. Elle en a assez. C’est fini, de mourir. C’est la vie maintenant. Il faut oublier, surtout ne pas en rajouter. Un infarctus, ne pas dire le mot. Un incident cardiaque. Un malaise, à peine. Et puis parfois, à la mauvaise heure, je vois l’angoisse qui la prend. Elle se couche sur son côté, les jambes pliées comme une adolescente boudeuse, elle râle. Contre le temps qui passe, et les copains du café qui ne montent pas, contre le sommeil qui la prend, et les journées qui n’en finissent pas. Ma grand-mère monte la garde, l’ankou s’éloigne, la mort peut bien essayer, elle ne l’aura pas, pas cette fois.