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Mytosil

J’ai dix ans. J’ai dix ans. Ou trois ans. Ou tout les âges jusqu’à 12 ans. C’est l’été. Je suis en vacances chez mon grand père paternel. Je prends l’avion comme une grande pour descendre dans le Sud Ouest le premier juillet depuis mes trois ans.

Il y a ce huis clos.

Je suis comme sa petite femme. Je ne passe pas mes après midi au club ou à la plage, je ne fais pas de tennis, je ne joue pas aux poupées, je n’ai pas d’amies, je passe toutes ces vacances à être la petite femme de mon grand père. Je fais les courses avec lui, je lui sers l’apéritif, nous nous promenons, nous mangeons en tête à tête sur la petite table en formica de la cuisine. Et puis tout les matins il me lave. J’ai dix ans, j’ai trois ans, ou tout les âges jusqu’à 12 ans.Il me lave. Il me savonne. Partout. Il lave mes cheveux. Il ne veut pas acheter d’après shampooing, il dit que c’est inutile. Il passe donc une brosse en plastique dans mes cheveux pleins de mousse pour les démêler. Il me rince, consciencieusement, Debout dans la baignoire, je ne dois pas bouger, je ne dois pas sortir, car il ne faut pas salir la belle salle de bain. Il ne faut pas faire de traces sur le sol. Il ne faut pas déranger cet ordre auquel il tient tant. Ne pas respirer. J’attends. Il me sèche, partout, longtemps. Une grande serviette pour le corps, une petite pour les cheveux.

J’ai dix ans, ou trois ans, ou tout les âge jusqu’à 12 ans. Un mois, chaque été. Une fois séchée, j’ai le droit de descendre sur le tapis de bain. Je dois ensuite m’allonger, pour qu’il puisse me mettre de la crème. Du Mitosyl, d’abord. Cette pommade immonde à l’odeur de poisson, qu’on met sur les fesses rougies par les couches des nouveaux nés. Il faut qu’il me couvre de Mitosyl, là en bas, pour que ca soit doux. Parce qu’il faut faire attention à ma zézette pour plus tard. Les fesses aussi. J’ai dix ans, ou trois ans, ou tout les âges jusqu’à 12 ans.Ensuite il faut qu’il me mette de la crême. Sur tout le corps. J’en sens encore l’odeur. De la Mixa, à la rose. Il faut attendre encore un peu, pour que la crème. Attendre nue et allongée sur le tapis de bain de la salle de bain qu’il ai fini de s’occuper de moi.Finalement, j’ai le droit d’aller dans ma chambre.Il me suit et m’habille. Je suis la petite femme de mon grand père. Quand je suis sage et que je suis obéissante, que je dis rien et que je réclame pas, il est très fier de moi.

J’ai passé 12 mois d’été chez mon grand père.Un jour, j’ai pleuré, j’ai hurlé que je ne voulais pas y aller. J’avais 13 ans. Mes parents ont insisté. J’ai fini par céder, à la condition qu’on me promette que je pourrais me laver et m’habiller seule. Que ma chambre et la salle de bain pourraient se fermer à clé. Personne ne m’a demandé pourquoi.

In Bed with Dariamarx

Tu vois mon lit, c’est un peu mon refuge, un truc que je ne partage pas facilement. D’abord parce que je suis bordélique, et que ma chambre reflète assez bien l’ampleur du problème, entre les dizaines de bouquins qui prennent la poussière par terre, la serviette qui finit de sécher roulée en boule sur le parquet, les fringues et mes montagnes d’oreillers, mon panda presque trentenaire qui ne me quitte jamais, on est bien loin du boudoir glamour d’une courtisane apprêtée, y’a pas de bougies qui sentent la vanille, pas d’huile de massage cachée dans un plis du lit, si tu viens pour coucher, ne t’attends pas à un feu d’artifice, on est pas chez Disney, l’attraction principale c’est moi, pas les accessoires pour filles qui aiment les tentures roses en organza.

J’ai mon côté du lit, et ce n’est pas la peine d’essayer de négocier, c’est le seul qui me permette de m’endormir du côté droit en regardant la porte, on sait jamais, un inconnu pourrait débarquer, et dans cette position je suis au taquet, prête à bondir et à l’assommer avec les mémoires de Fitzgerald ou avec ma bouteille d’eau jamais pleine mais toujours croupie, en fait j’ai jamais soif la nuit, c’est une précaution de l’esprit, comme les mouchoirs dans ma taie d’oreiller, j’ai arrêté le couteau de boucher planqué depuis que je me suis sévèrement coupé dans mon sommeil, on est maladroit ou on ne l’est pas, dans mon cas c’est presque pathologique, les objets tranchants devraient porter des étiquettes toxiques.

J’ai pas le sommeil tranquille, finalement ce n’est pas le méchant cambrioleur qui m’effraie, ce sont mes rêves, et surtout mes réveils, au milieu de la nuit, quand tout est calme, aucun bruit, que j’entends mon cœur battre un peu trop fort d’avoir cauchemardé, alors j’ai des dizaines d’objets pour me calmer et me rendormir, pour apaiser l’angoisse qui monte, des bouquins, des podcasts par milliers, entendre les autres parler me détend et m’apaise, ma bouteille d’eau, mes mouchoirs, mon chat et puis même des perles à enfiler pour me concentrer sur autre chose que l’envie de crever, j’entoure mon lit de distractions, me divertir pour échapper à ma condition, tu vois Pascal, j’ai bien retenu ma leçon, je joue, j’écoute, je lis, j’occupe mes mains et je fredonne sous ma couette, pour échapper à ma conscience, l’insoutenable difficulté d’être, mon lit n’est qu’un support pour mes insomnies, les objets qui l’entourent sont les symboles de ma très humaine condition, j’arrête là les analogies.

BOOBSPENISDUCK

On prend un café près de chez moi ?

J’vois pas l’intérêt, près de chez toi ou de chez moi, au milieu d’un champ ou sous un pont, si tu crois qu’il va se passer quoique ce soit, jte propose de te coller direct l’organe dans l’eau avec des glaçons, t’as beau être charmant, que tu localises géographiquement la proximité de ton appartement ca nique tout, encore un qui pense avoir trouvé un plan cul facile et gratuit, je suis facile mec, seulement faut savoir un peu me donner envie, me séduire et me faire mouiller, le petit noir que tu m’offres va pas suffisamment me lubrifier.

Ca me fait rire ces mecs qui te sortent le grand jeu, qui te parlent de bouquins et qui écrivent bien, ils se pensent tellement fins, ils pensent avoir tout compris, psychologie de la femme pour les nazes, en promo dans leur  librairie, au chapitre “Rencontres sur Internet”, ils suivent le manuel, soyez attentionnés et délicats, évitez de parler de sexe et échangez sur vos points communs, seulement ils ne retiennent pas tout, cervelles grillées par la masturbation à répétition, au dernier moment ils dérapent et envoient tout valser, si t’avais été plus cash, tu serais peut-être déja en train de te faire sucer.

Je parle même pas des nanas qui n’assument pas de bander, qui se cachent derrière des aventures romanesques pour refuser de baiser, qui cherchent le prince charmant d’un soir, celui qui paie à boire et qui les nique dans le noir, au royaume des princesses sous UV l’hypocrisie règne maîtresses, une fille bien ne pisse pas, ne rote pas, et n’avoue jamais qu’elle a juste besoin de se faire bousculer sans qu’on l’invite à dîner, une fille respectable n’a pas d’animalité, elle ne se roule pas par terre de joie quand son amant arrive devant elle en érection, elle n’attend pas à quatre pattes qu’on vienne l’enculer.

Je vote pour le camp des salopes qui exigent de se faire bien baiser, des mecs qui annoncent la couleur et qui cherchent à se frotter, sensuel et sans suite, j’ai choisi mon parti, celui qui jouit sans entraves et qui se donne en amour comme en sexe d’un seul élan, sans rien travestir ou masquer, brute de décoffrage, désolée si ca empêche les invertis de bander.

Happy Place

C’est l’été au Canada, au milieu, là où les plaines n’ont pas de fin et les lacs sont comme des océans, sans fin, les routes goudronnées sont les autoroutes et les allées privées, pour rejoindre la ville la plus civilisée il faut parcourir une centaine de kilomètres, une route si droite que tu peux bloquer ton pilote automatique et regarder le paysage défiler, les préfabriqués et les silos à grain, les milliers d’églises en papier mâche pour protestants déboussolés, à la droite du volant une tasse de plastique contient un petit litre de café dilué, on roule vers le Nord, l’esprit pionnier refuse de crever, camping et et barbecue, nuée de moustiques et sangsues, bienvenue dans le meilleur été de ma vie, au bord du lac quand le jour se meurt, quand tout se tait et qu’il n’y a rien d’autre à faire qu’être ensemble, se parler, jouer.

Tout le monde s’en fout ici, d’où tu viens, de combien tu pèses et de la musique que tu écoutes, les règles de la conformité sont biaisées, ce qui compte c’est la manière dont tu t’occupes des enfants, les sourires que tu rends, le relish que tu mets dans tes hot dogs et ton implication dans les corvées, y’a rien à inventer, pas de masque à porter, t’oublie ce que tu as laissé à Paris, la prétention grotesque de vouloir appartenir au clan des branchés, les envies de ressembler, ici je deviens un individu, je deviens moi, on m’aime sans période d’essai, personne ne feinte, personne ne cherche autre chose qu’un bien-être simple, ces gens n’ont rien de spécial, il n’ont pas réussi, ils ne sont ni médecins, ni avocats, ils n’existent pas socialement, ils ont pour seul but de construire une maison ou d’élever leurs enfants, les attentes sont simples, les règles faciles.

J’avais du mal à répondre à la question de mon psy, raconter mon meilleur souvenir, après quelques semaines, mon meilleur souvenir je l’ai laissé là bas, avec mes 14 ans, ma casquette défoncée de l’Université du Saskatchewan, ma découverte de ce que pouvait être une famille, les bains de minuit dans le lac gelé, la moustiquaire sur la porte d’entrée, les coyotes dans le jardin et les yard sales du dimanche matin, mon rêve américain  n’est pas bing-bling, pas de cadillac rose mais des trucks aux flancs boueux, pas de villa à Malibu mais un préfabriqué au milieu d’une ville de 400 pelés, mon rêvé américain est canadien, c’est peut-être ce qui change les données, un refrain de rock indien d’une chanson que je n’ai jamais retrouvée, l’odeur de la fumée et de l’herbe qui sèche après la pluie, une vision du monde un peu à la Disney, la sensation d’être hors du monde mais d’y être parfaitement, dans le vrai monde pour une fois, celui qui compte vraiment.

Blues de la midinette

Quand on a que l’amour, on est pas bien avancé. L’amour ca pique les yeux, ca tord les tripes, ca fait avancer et puis reculer d’un coup, ca emporte tes illusions et ca te rend trop heureux, trop fort, trop vite, ca tourne la tête et ca retourne ton estomac, ca change les couleurs des gens et ca rend les journées moins longues, les minutes comme des secondes. J’voudrais plus tomber amoureuse, tu vois, je suis pas faite pour ça, je connais pas le maintien, j’applique pas les règles, quand je tombe c’est trop loin, chute libre au dedans de moi, ca réveille des choses que je ne maîtrise pas, qui m’emportent si loin que j’ai du mal à rentrer, éloignée pas les vagues de la marée, j’me sens seule et j’me laisse couler, l’eau est dégueulasse et c’est crade, j’voudrais sortir de moi quand je suis amoureuse, ne plus rêver, ne plus rien projeter, être capable de vivre juste l’instant, le temps de maintenant, celui où tu souris, quand tout va encore bien, ne jamais m’envoler, juste rester là, dans ton creux, là où rien ne change, ni ton odeur, ni le son de nos voix.

J’oublie rien, je suis comme ça, je garde tout, j’ai peur de manquer, j’entasse les souvenirs en masse dans des albums aux coins cornés, la première fois où je te vois, la dernière aussi, la forme de tes mains et la sonnerie de ton téléphone, la fois sur le toit du monde, on aurait du rester là, à regarder les gens bouger, à se planquer pour s’embrasser, on aurait du ne jamais partir, oublier de rentrer, rester immobile pour que rien ne change jamais. J’aurai du être plus forte, j’aurai du mieux t’aimer, j’ai tellement d’acide dans la gorge que ca m’empêche de respirer, ma gorge se noie dans la boue des regrets, les nuits sont plus longues depuis que je t’ai quitté, depuis que je m’interdis de penser à toi, parce que j’ai peur du manque, parce que j’ai peur de te rappeler, j’essaie d’assumer, de faire ce que je dis, de me concentrer sur moi, seulement les moments comme maintenant, j’y arrive pas bien tu vois.

Choisir c’est renoncer, il paraît. Je savais pas que renoncer c’était si douloureux, que tes tripes s’arrachent quand la porte claque, que tes yeux n’en peuvent plus d’avoir trop pleuré, que tu te réveilles en pensant que rien de tout ça n’est vrai, qu’on est encore le mois dernier, que tout va bien se passer, que je vais y arriver, que le meilleur est devant et qu’on va tout défoncer. Ça n’a pas fonctionné tu vois, pourtant j’y ai cru, mais la bête qui me grignote du dedans a vaincu, j’ai capitulé, j’arrête de me battre pour fonctionner, je te quitte mais je garde tout de toi, tout brûler serait plus simple, tout sacrifier dans un ultime autodafé, seulement j’ai encore besoin de la béquille des souvenirs pour m’aider à respirer, encore quelques jours s’il te plaît, après je te laisse filer.

Cimetiere des Elephants

J’arrive pas à oublier, j’arrive pas à oublier, ce que ca fait d’être dans tes bras et ce que ca fait quand tu ne rentres pas, j’ai 11 ans je m’en fous, c’est anormal c’est dépressif, c’est mon putain d’Oedipe, j’arrive pas à m’y faire, je veux pas grandir, je veux régresser, redevenir petite dans mon jogging vieux rose compagnie de Californie, préparer ton café dans la cafetière de la cuisine, que tu m’emmènes me balader dans la BMW défoncée, y’avait que toi et moi, y’avait que nous, j’étais le centre de ta vie, tu pleurais quand je partais, rappelle toi, je voudrais que ca te hante, je voudrais que ca te tue, que les larmes rentrent de ton corps pour te rendre malade, je voudrais te voir encore pleurer quand j’emporte mes affaire dans la voiture de ma mère, je veux que tu souffres comme j’en chie pour ne pas t’oublier, cette douleur que j’entretiens pour te permettre d’exister.

T’as ta place dans ma vie, je te porte dans mon corps, le poids de mon père mort, le poids de la crainte de te recroiser, au détour d’une rue, dans tes quartiers préférés, lire sur ton visage que tu as oublié qui j’étais, pour de bon effacés les souvenirs et ta paternité. J’aurai du m’en douter, ca commençait mal, je suis née un jour maudit, deuil national, j’avais pas les bonnes fées, y’a les photos pourtant, tu me portes près de ton coeur et ta bouche est posée sur mon crâne déformé, t’étais là quand je suis née, il parait même que t’as pleuré, est ce que déja tu t’en foutais, t’avais déja prévu de me quitter, de me laisser, de m’abandonner. J’en sais rien et quand je te demande de m’expliquer tu ne me réponds pas, tu te contentes de me répondre que je n’existe pas. J’arrive pas à t’en vouloir, j’arrive pas à comprendre, chaque jour je me demande, ce que tu fais comment tu vis, si tu es heureux et comment c’est ta vie, je cherche tes enfants à  chaque sortie d’école, je croise des visages qui me ressemblent et que je ne connais pas, je suis veuve de mon père, je suis une fille mère, je pousse mais tu refuses de sortir, j’ai ta tête bloquée entre les deux estomacs, je veux accoucher de toi, et puis t’abandonner, répéter une dernière fois le schéma pourri que je fais subir à ceux qui ont le tort de m’aimer, je les aime à la folie et je les laisse tomber, je ne sais pas aimer sur la durée, ce qu’il me faut c’est de l’intense, de la folie, du rêve, du fugace et de l’immédiat, parce que rien ne dure jamais, les gens refusent de crever et il faut les achever, coups de pieds dans le ventre pour les faire avorter, je suis la boule nauséabonde dont tu veux te débarrasser, je suis le fœtus sanguinolent retrouvé noyé, je suis l’accoucheuse et l’accouchée, ma maïeutique ne connait pas la logique, je suis tout à la fois et finalement je ne suis rien, je ne suis qu’une merde puante et asphaltée, accrochée au sol, refusant de décoller.

In the dead car

Je suis muette, tu comprends ca sort pas, j’ai des mots et puis des phrases, ca m’écorche la gorge et ca fait saigner mes gencives, ca bouillonne et puis ca se bastonne, ca veut pas mourir, ca veut pas se taire, ca me pousse à dégueuler, tout en une fois, sans réfléchir et sans pouvoir modérer, ca sort comme ca peut, quand j’ouvre un peu trop la bouche ca s’échappe et ca s’enfuit, la boue, la merde, ce que je pense tout au fond, ce que je n’ose pas dire, ce que je ne veux pas avouer, ca m’oxyde les dents, dépose une mousse de dégout sur ma langue jaunie, nicotine et café soluble, mensonges et regrets.

Je danse pas, je respire, pas, j’arrête de bouger, la tête dans mon écran toute la journée, écrire des trucs qui ne veulent rien dire, aligner les mots les verbes les adjectifs, ne pas chercher à comprendre, les doigts qui frappent les touches de plus en plus fort, de plus en plus énervée, de ne pas sortir, de ne pas parler, de ne rien dire et de tout garder, j’appuie sur les touches et je frappe mes mots, j’ai des courbatures aux phalanges et mes mains sont gonflées, je me punis d’être muette, d’être une handicapée momentanée, je me punis mais c’est bien, je mérite et c’est bon, la souffrance d’exister, juste se réveiller et respirer, s’émerveiller d’être encore là en attendant que le nuage se repose sur ta tête, les quelques minutes que tu grappilles pour sourire et te souvenir comment c’était.

J’ai pas d’histoire de cul à raconter, y’a pas de sexe dans ma vie, j’ai même oublié comment c’était, j’ai pas envie qu’on me touche, j’ai pas envie de me montrer, je reste seule au pieu et je ferme les yeux, y’a rien qui vient, rien qui me donne envie de faire descendre ma main, j’arrive plus à jouir, ni dans ma tête ni dans mon cul, ca passe plus je te dis, c’est fini, c’est déconnecté, j’ai les connexions nerveuses qui finissent de griller, c’est incendie collectif dans les caves, les synapses arrosées à l’essence, je craque l’allumette et je regarde mes émotions flamber, c’est beau une caisse qui crame, c’est beau une ville la nuit, tu contemples les flammes qui viennent lécher les portières, ca va finir par exploser, ca monte dans l’air, c’est presque bleu, c’est presque invisible et pourtant ca ne va pas finir, les vitres qui implosent et le capot qui se soulève, c’est le moment du boum final, le souffle qui caresse tes lèvres, écrase ta clope à terre, reprend ton chemin, ca sera fini demain.

Mauvais rêve

Je cours dans mon sommeil ca ne s’arrête jamais. Pourtant dans la vraie vie, on ne peut pas dire que je sois une athlète, le métro et les bus peuvent m’attendre, je ne suis pas pressée, je suis trop lourde pour risquer mes rotules dans des acrobaties sur béton, je ne cours pas et j’attends le prochain, sans culpabilité, sans remords. Dans mes rêves pourtant je suis essoufflée et transpirante, j’ai la gorge sèche et l’air siffle dans mes poumons, mes pieds frappent la route et se heurtent, le paysage défile à l’unilatérale, pas de troisième dimension dans ma nuit, les arbres et les immeubles sont aplatis et ridicules, il s’effacent devant ma course inexpliquée.

Je veux arrêter de courir mais je n’y arrive pas, dès que je ralentis ma course le fond du paysage s’effondre, il faut repartir, plus vite, plus fort, échapper aux éboulis et aux voitures incendiées, les apocalypses se multiplient, se collent à mes talons et dévorent mes semelles, je cours pour m’échapper et pour survivre, je ne sais plus pourquoi je fuis, je sais que la fin arrive, qu’au bout de la ligne droite il n’y a rien, pas d’effet d’optique dans la chute qui m’attends, juste la fin du bitume et de la civilisation, le dernier pas dans le rien et le son d’une pierre qui tombe dans le vide.

Je sens l’air frotter contre mon ventre, mes mains et mes joues, je descends dans le noir, parfois j’aperçois un couloir, mais tout va trop vite, tout est déjà joué, je tente de me réveiller, tu ne tombes pas vraiment, la fin du monde a le temps d’arriver, réveille toi putain, arrête de te laisser tomber, accroche toi aux parois, escalade, bats toi, rien ne marche, la gravité se moque de moi, tu es lourde et tu descends plus vite, c’est l’ironie finale, le dernier twist avant le crash, dans mon rêve je prends le temps d’en sourire, destinée à exploser je prends le droit d’en rire avant de m’abimer.

Country Living

Viens passer le week-end à la campagne, ca te fera tellement de bien, respirer du bon air, les petits oiseaux qui chantent le matin. Ouais, ouais. T’oublie juste qu’à 22h tout le monde est pieuté, qu’il y a une grande branche d’arbre de merde qui frappe contre la fenêtre, en rythme avec le vent qui fouette les volets. T’es dans un lit qui sent quand même un peu le renfermé, avec des vieux draps brodés dans lesquels tu peux facilement imaginer que l’arrière grand-mère a accouché, dès que tu te retournes le matelas en laine se met à couiner, si tu vas pisser tu réveilles tout le monde parce que tu connais pas encore les bonnes lattes du parquet.

On te vante les petits déjeuners de l’ami Ricoré, petite famille sympathique rassemblée autour de la toile cirée, l’odeur du pain grillé et du beurre salé, mais moi tu vois je dors jusqu’à midi, j’ai pas envie de mettre les bottes aigles vertes que tu m’as prêté, j’ai assez donné en balades en forêt, je vois pas l’intérêt d’aller me perdre entre deux rangées de chênes, marcher dans les feuilles qui pourrissent et chasser les renards qui montrent le bout de leur nez. D’ailleurs j’ai plus de clopes et le tabac le plus proche est fermé, il ne me reste plus qu’à essayer de rouler ce paquet de Drum oublié par un de tes invités, scotchée entre la cheminée et la télé, j’veux pas faire de Monopoly; j’veux pas t’aider à désherber, j’aime pas la nature, je chie sur l’oxygène, je frôle l’intoxication au gaz carbonique, tous ces arbres qui me respirent dans le nez, ca me panique, ca me donne envie d’appeler Mondial Assistance et de me barrer.

Bien sur c’est charmant, les enfants sont tellement contents, les joues rouges d’avoir trop joué, le déjeuner terroir qu’on sert sur la table de ferme de l’entrée, c’est délicieux, c’est authentique, mais putain ce que je m’emmerde, mes bouquins finis sentent déjà l’humidité, par la fenêtre de la cuisine un putain de champ à perte de vue, pas une bagnole qui passe, pas un bruit normal, pas de sirène, pas d’avion, pas de voisin qui tousse, juste la nature hostile, la boue qui colle à tes semelles, l’herbe mouillée sur laquelle tu glisses comme une merde, dans ma tête j’ai dix scénarios pour m’échapper, mais je peux pas, ca se fait pas, c’est pas poli de prétexter que ta grand-mère vient de décéder juste pour éviter de mettre un ciré et d’aller au marché.

Dans quelques heures je ferai semblant d’être triste, de regretter, d’avoir l’angoisse de quitter ce petit cocon si douillet, seulement j’en peux tellement plus que je ne sais pas si je vais arriver à bien jouer, j’ai juste envie de voir une station service, l’autoroute et le périph, prendre le métro et revoir la gueule triste des parisiens, l’odeur de la Gare du Nord et le bruit qui ne s’arrête jamais, déballer mon sac et m’apercevoir que mes vêtements puent la fumée, la cheminée et la cambrousse, tout laver à 90° et voir l’ennui se dissoudre dans la mousse.

Chiant

Je prends le courrier une fois par mois, c’est comme un rituel, un sac poubelle noir posté devant la gueule ouverte de la boîte aux lettres, je pousse toute la merde qui déborde et elle tombe mollement au fond du sac . Je remonte, je chope un second sac poubelle, j’allume la première cigarette et je commence à trier, les publicités d’abord, la merde et les catalogues, je n’ouvre rien, tout à jeter. Ensuite sur le canapé, des piles selon le degrés d’angoisse des intitulés d’enveloppes : banque, impôts, mutuelle, autre inquiétant, autre potentiellement sympathique.

Ca a commencé quand j’avais vraiment des soucis, quand je pensais que ma carte bleue était une source inépuisable de confort et de bonheur facile, une machine à plaisir qui ne dit jamais non, hébergée dans la banque maternelle mes découverts passaient sous silence, et d’autorisation de découvert autorisé en chèque rejeté, je vivais constamment sous la barre du zéro, mais je m’en foutais, l’argent c’était sale, c’était pour les cons. Pourtant je travaillais, j’avais un salaire, la sueur de mon front il paraît, raison de plus pour l’envoyer valser, faire de la merde, acheter de la merde, chier de la merde, consommer de la merde, logique implacable de la capitaliste cyclothymique.

Ca a changé il y a presque deux ans maintenant, doucement, les responsabilités supplémentaires, marre de vivre sans carte bleue, dépendante de la grosse dame permanentée du guichet, toujours à l’affut des pièces oubliées dans un manteau pour m’acheter des clopes, perpétuellement à la dèche. Une vraie crise de croissance, avec des caprices à me rouler par terre, à désirer posséder plus que jamais, juste pour dire que je pouvais, sans désir de l’objet mais dans un délire d’accumulation contrarié, j’étais en colère de vivre enfin dans ma réalité financière, en colère de la vraie vie qui t’oblige à choisir, à renoncer, à penser avant d’acheter, en colère de mon travail de merde pour un salaire de misère. Finalement, dans cette crise de rage, dans cet arrêt brutal de surconsommation, j’ai réglé mon problème de boulimie vomitive. Sans y penser. Comme si j’avais appris la modération, la patience, à gérer la frustration, l’angoisse. J’avalais l’argent comme la bouffe, et je vomissais de façons différentes mais symboliquement jumelles. Un mal pour un bien, un rendu pour un vomi.

La prochaine étape de ma vie d’adulte est donc de confronter mon courrier. Cette masse de papiers chiants, fades et sérieux, qui m’ordonnent de renvoyer, de poster, de signer, de payer, de faire mes comptes. Ces rappels à l’ordre insidieux que ta vie administrative continue, quelque soit ton état d’esprit, ton occupation, le sens que tu donnes à ta vie, je suis à jamais liée à mon inspecteur des impôts préférés, celui que j’appelle régulièrement en panique pour implorer son pardon, comme si j’avais fait une grosse bêtise, cassé un vase ou tâché le tapis, je reste petite fille dès que j’ouvre ces enveloppes grises, les mains derrière le dos, les yeux baissés, j’attends la punition, 10% ou un ATD.