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Cinq ans

Cinq ans que je suis dans le noir. Au début, je n’ai pas compris. J’ai cru que j’allais mourir. Qu’ils allaient me tuer. Très vite. Qu’est ce que je suis, après tout. Pas grand chose. Juste un soldat de plus. Mes parents ne sont pas riches. Ils ne font pas de politique. J’étais juste là au mauvais moment. Sur la mauvaise route. Putain d’armée. Putain de pays. Je ne suis pas fier d’être dans le noir, je n’ai rien à revendiquer. Je voudrais juste qu’on me laisse m’en aller. Ca fait cinq ans que je l’attends. Je ne suis pas prisonnier, je n’ai aucune idée du temps que durera ma peine, combien de jours encore je vais rester enfermé.

Je ne sais pas où je suis. On me change souvent de pièce, de maison, de ville. Un tissu sur la tête, parfois juste un sac en papier, je n’arrive pas à voir la route, j’entends juste parler, le ronronnement du moteur et les bruits des villes qu’on traverse. Mais la destination est toujours la même. Une cave quelque part. Des hommes qui viennent m’apporter à manger. Parfois des toilettes. Un journal, dans une langue que je ne comprends pas. Un matelas. Je pense à des choses stupides, comme le temps qu’il fait dehors, ce qui passe à la télévision, ces petites choses que je ne sais pas. Parfois je crois devenir fou, j’oublie ma langue maternelle, je n’arrive plus à parler, même tout bas, même en silence, même pour personne. C’est long, ces années sans rien entendre de familier.

J’ai eu vingt quatre ans je crois. Si je compte bien. Je devrais être en train de voyager, quelque part entre l’Asie et New York, après mes trois ans d’armée. Je devrais être libre, de cette guerre qui se joue en mon nom, de ces hommes qui se servent de moi comme d’un appât. On me demande de parler devant une caméra, de temps en temps. Je n’ai pas vraiment le choix. Alors je lis ce que l’on me demande, j’essaie de ne rien laisser paraître, parce que je pense à mes parents, qui doivent me chercher. Je ne voudrais pas qu’ils pensent que je vais mal, que je me laisse aller. Alors je lis bêtement le texte que l’on me soumet. Et je prie pour qu’on me laisse tranquille. Qu’on vienne me chercher. Je voudrais juste rentrer chez moi. On ne doit pas être loin, quelques centaines de kilomètres seulement. Sauter dans une voiture et surprendre ma mère dans la cuisine, mettre mes mains sur ses yeux et lui faire une surprise.

Bien sur il y a la mort. Cette possibilité. Je ne sais pas si on tue un otage au bout de cinq ans. Mais je ne sais rien. Je ne connais pas ces gens. Je ne comprends pas ce qu’ils attendent de moi, des miens, des gens. Je ne sais pas pourquoi je vis. C’est peut-être cela le plus compliqué. Ne rien pouvoir faire. Ne rien pouvoir échanger, marchander, demander. Être le pion qu’on déplace. Je voudrais que quelqu’un prononce mon nom. Je passe des mois entiers sans qu’on m’appelle par mon prénom. J’ai l’impression de m’effacer progressivement. Alors je le répète dans ma tête, encore, et encore, pour m’endormir et pour me réveiller, quand les minutes sont trop longues et que la peur me casse le ventre, dans ma tête comme une chanson, je m’appelle Gilad, je m’apelle Gilad, je m’apelle Gilad, ils ne peuvent pas m’enlever mon prénom, ils ne peuvent pas me faire oublier qui je suis, je m’appelle Gilad, j’ai été enlevé, je ne suis que Gilad, j’attends qu’on vienne me libérer.

Encore Elles

On a aperçu les filles. De loin d’abord, les lumières et les néons. Dans l’embouteillage de la rue, coincé devant les vitrines, on a observé. Des filles défigurées par la lumière bleue et par l’auto-bronzant, dessous blancs et piercings apparents. Des filles à la peau noire, en dessous rouges, toutes, comme si les charte graphique était stricte. Des femmes d’un certain âge, expression pénible, assises sur des tabourets hauts, jambes écartées sur leur ennui. Des dodues, des maigres, des asiatiques, des maghrébines, des blondes bébé, des décolorées, des sympathiques qui font signe et des commerciales qui dansent autour d’une barre. En 500 mètres, c’est l’évolution de la pute, jeune première demandée ou travailleuse habituée, les mêmes vitrines pourtant, espace compté, décors basique, léopard et machine à fumée. En 500 mètres, des centaines de paires d’yeux se posent sur leurs corps, les déshabillent et les baisent. En 500 mètres des centaines de cerveaux les méprisent, les envient, les détestent, les insultent et finissent par les oublier.

Ces femmes en vitrine sont anonymes. Elles travaillent sous pseudonyme. Elle sont chronométrées, il y a un menu, un début et une fin à l’échange. Ces femmes n’existent plus dès qu’elles ont fini de servir. Quand elles ont rempli leur devoir, quand elles ont fini leur passe. Ces femmes n’ont plus de noms, plus d’odeurs, plus d’âges. Elles sont comme des fantômes, on vient s’y frotter pour se faire peur, pour se sentir exister. On se fout de leur histoire, on est pas là pour ça. On repassera dans une semaine, pour voir si elles ont changé, si il y a des nouvelles et si la chaire est encore fraîche, si on a envie de les posséder. Pendant ce temps, elles attendent, perchées sur leurs talons transparents, regard vide, sourire figé, le temps est long quand on est constamment observée, jugée, soupesée, jaugée, évaluée. Comme à l’usine la pointeuse sonne, là aussi. Le même manège, la même comédie, l’entreprise du sexe n’est pas vraiment différente, y’a les gagneuses et les petits employés, des primes à la performance et le patron qui met la pression. La seule différence c’est le produit finalement, mais quand on sait vendre, on vendrait sa mère, c’est l’expression consacrée, alors pourquoi pas son cul, ses ovules et son sperme, ils appellent ça une banque de l’espoir, la prostitution c’est la banque des branques, celle où tu croises n’importe qui à n’importe quel moment, les noms ne sont jamais les mêmes, les visages et les perruques changent, comme l’impression que rien n’est permanent, comme l’orgasme du dernier client, effacé à coup de lingette anti-bactérienne sur le matelas caoutchouté.

J’ai l’obsession des putes, mais j’ai surtout l’obsession des femmes qui disparaissent, de ces visages qu’on ne retient jamais, de leurs corps qui s’effacent, qui sont échangés pour quelques minutes contre deux billets, c’est la possession qui m’agace, cette idée qu’on peut prendre, qu’on peut appartenir, ce fantasme masculin qui se répète, et les mots pour le dire, fille de rien, fille commune, être à tous sans être à soi, pourtant ils paient pour venir se perdre entre leurs cuisses, certains reviennent, chaque semaine à la même heure, visite conjugale dans la prison imaginaire du studio loué sans salle-de-bain au dernier étage d’un immeuble parisien. Je voudrais croire aux vieilles images de putes en noir et blanc, un de ces films avec Gabin, se réfugier dans l’iconographie pour échapper à la réalité des talons en plastique qui trépignent sur le pavé, le bon mac et la putain serviable, le client enamouré et la fin pleine de morale et de respect, oublier les centaines de chinoises assises devant le Monoprix de Strasbourg Saint Denis, leur teint gris maquillé en rose trop frais, et les hommes qui défilent pour les enlever, toujours plus pressés, plus avares, plus laids.

Thanatos et les autres

Ca me fait bien marrer, tous ces gens qui ont réussi à interdire l’exposition de photos de Larry Clarck aux mineurs, comme si les adolescents vivaient dans une bulle stérile faite de petits pains au lait et de barres de chocolat pour le goûter, à croire que vous avez oublié que l’adolescence commence aujourd’hui à 10 ans, la faute aux hormones dans la viande ou aux parabens, mais surtout la faute de ceux qui voudraient interdire, ceux la même qui hurlaient encore à la liberté d’écouter leurs disques un peu trop fort le soir il y a quelques années, ces adultes soit-disant responsables parce qu’ils ont enfanté, comme si il suffisait d’inséminer et d’accoucher, de nourrir et de vêtir pour élever.

Empêche tes enfants d’aller voir cette exposition, mais alors coupe leur Internet, confisque les téléphones portables, interdit les magazines, l’interaction entre les sexes, l’école mixte, les adolescents sont tellement plus viciés qu’il y a quelques années, ils connaissent tout du sexe et de ses perversions avant même de perdre leur virginité, ils matent du porno en cachette et chattent par webcam, enferme tes enfants si tu as peur de leur expliquer, si tu as peur de leur montrer que l’art n’est pas seulement enfermé sous clé dans des musées pour japonais, qu’il n’est pas uniquement couleur, forme, point et ligne, que l’art est subversif, voyeur, dérangeant.

Prend le temps de leur apprendre, de former avec eux une pensée, de lever les barrières  un instant, pour les construire plus solide juste après, aide les à apréhender, à comprendre, à regarder, mais n’interdis pas, ils regarderont Kids et Ken Park en cachette, ils n’en retireront que les scènes glauques des californiens sous amphétamine, c’est presque fasciste, interdire parce qu’on se refuse à parler, parce qu’on a peur, parce qu’on voudrait s’enfermer, élever un mur stupide entre les adolescents et les adultes, alors que les frontières sont de plus en plus floues, alors que les adulescents ont 35 ans, que les grossesses de filles de moins de 15 continuent à se multiplier, qu’on viole en réunion et qu’on brûle des filles qu’il faudrait cacher. Continuer à nier la sexualité des adolescents, c’est donner raison aux ségrégations entre les sexes, encourager la façon de penser des intégristes, ceux qui voudraient tout réglementer pour tous, de notre manière de jouir à notre manière de mourir, c’est accepter qu’on ne veut pas en parler, comme si ca n’arrivait pas, comme si on se refusait à entrer dans la réalité des autres, même par le biais de quelques clichés.

Au delà du sexe, c’est du passage, de l’initiation, qu’il est question dans les travaux de Larry Clarck, c’est le chemin torturé de quelques uns, c’est son enfance qu’il repasse sous le grain de ses photos, la réalité de certains imprimée en fiction sur du papier glacé, peut-être faudrait-il interdire aux plus de 18 ans de visiter cette exposition, limiter son accès aux adolescents justement, pour qu’on ne puisse plus l’accuser de pédo-pornographe, pour que son œuvre touche, dépourvue de la grille de lecture des adultes, brute.

Photograve

“Oui bonjour DariaMARX, je m’appelle Connard, je suis PHOTOGRAPHE amateur mais je vais exposer bientôt au (insérer ici le nom d’un petit bar pourri avec l’aura d’un PMU à Maubeuge). Je t’écris parce que je lis ton TUMBLR (c’est quoi cette manie de tout mettre en majuscule, des tendances sadiques ?), et que tu as l’air d’être une femme OPEN (hinhin ndlr) et que tu te décrits comme une femme FORTE.

Je voudrais te proposer de participer à une PRISE DE VUE en toute intimité, le thème sera RONDEUR&INTERNET. Je veux depuis longtemps faire des photographies de femmes FORTES mais je trouve qu’elles ne sont pas beaucoup à vouloir se DÉNUDER. Je travaille en NUMERIQUE et je maîtrise très bien PHOTOSHOP (pour effacer mes bourrelets et mes vergetures avec ta grosse brosse ? ndlr).

Je te propose de nous rencontrer autour d’une BOISSON pour faire connaissance et que tu prennes CONFIANCE en moi.

En attendant tu peux voir des exemples de mon TRAVAIL sur groszizitoutdurquifaitdesphotosavecmoniphoneetunelampedechevet.BOOK.FR

BISES

YVON-JEAN”

Cher Yvon-Jean,

Je suis immensément flattée que tu t’intéresses à moi pour ce thème aussi passionnant : RONDEURS&INTERNET. Je m’imagine déja nue sur une peau de bête, la toison pubienne taillée en forme d’arobase, les seins recouverts d’un body-painting élégant représentant le clavier d’un IBM de 1989.

Je te remercie de lire mon tumblr, mais tu as sans doute remarqué que je n’y poste pas de photos. Non, ce n’est pas parce que je suis moche, grosse et blonde. Non, ce n’est pas parce que je suis complexée. Non, je n’ai pas besoin que tu viennes me libérer de longues années de souffrances corporelles en m’illuminant d’un filtre en halo et d’un airbrush puissant. Je ne souhaite simplement pas utiliser d’images de moi sur le Net, en tout cas, pas en masse.

Je ne sais pas quelle idée tu te fais de moi, mais je ne suis pas si “OPEN” que ça. En passant, je te fais délicatement remarquer que l’expression “être OPEN” est aussi laide qu’une paire de mocassin à pompons en nubuck beige. Rien qu’en la tapant, j’ai l’impression de me télé transporter dans un club libertin de province, qui aurait pour nom quelque chose comme “Le Grenier des Plaisirs”, et de me retrouver en nuisette polyester en train de satisfaire l’adjoint au maire. Je t’informe qu’il m’est arrivé, et même à de nombreuses reprises, de refuser les avances qui m’étaient faites. Je doute que nous soyons compatibles, rapport à ton utilisation du mot “OPEN”, et au fait que tu portes certainement ton jean sous tes aisselles avec une chemisette à manche courte.

J’ai consulté ton “travail”. Je ne peux pas dire que j’ai adhéré aux photos que tu as choisi d’exposer virtuellement. Je n’ai particulièrement pas compris la série de cette grosse femme vieille, moche et moulée dans du film alimentaire. Comme ils disent à la télévision, ton univers artistique m’échappe. Je me permet de te conseiller de choisir une URL plus appropriée, si tu continues à vouloir te prétendre photographe.

Tu l’auras compris, Yvon-Jean, je suis dans l’obligation de refuser ton aimable proposition. Même pour la “BOISSON”. Je doute que nos chemins puissent se croiser. Je n’hésiterai pas à te recontacter si jamais je choisissais de me reconvertir dans le porno amateur pour obèses.

CORDIALEMENT.

DARIAMARX

Priorites

J’ai arrêté de Twitter aujourd’hui. J’ai aussi balancé mon compte Facebook officieux. Je ne peux pas dire que cela soit facile. Et cette sensation me conforte dans mon choix. Je suis venue à bout du personnage Dariamarx. Je n’ai plus besoin d’elle. Je ne veux plus me laisser emporter par la colère, par l’énervement, je ne veux plus me mêler de ce qui ne me regarde pas, je ne veux plus porter de jugements. Je n’aime pas ce qu’elle est devenue. Alors je la supprime.

Ca fait plusieurs jours que je me demande comment m’en aller. Est-ce qu’il y a des adieux à faire, des personnes à remercier, un cérémonial à suivre ? J’ai choisi de ne rien dire. Je laisse juste cette trace ici, au cas où l’on vienne me chercher.

J’ai choisi, j’ai renoncé. Maintenant le reste peut commencer.

Edit du soir

Je continue à écrire ici, bientôt ailleurs aussi. Merci pour vos messages.

Bovary

C’est pas de sa faute. Elle se répète ça, en boucle. Quand elle sort de la douche, quand elle couvre son corps de crème, en inspectant ses cuisses dans le miroir, assise sur le bord de son lit, les seins toujours aussi jolis, les fesses un peu moins fermes peut-être, elle est toujours aussi bonne, enfin à quelques grossesses près, les enfants c’est mauvais pour sa peau, ca lui tire la peau près des yeux, rides au coin du front, trois cheveux blancs qu’elle arrache méticuleusement. Elle voit bien qu’il n’aime pas ça, qu’elle soit restée si attirante, on la regarde un peu trop quand ils sortent, les hommes fixent sa poitrine, il serre sa main un peu plus fort, comme pour se l’approprier, comme pour lui rappeler qu’elle n’a pas le droit d’être désirée.

C’est pas de sa faute. Elle avait résisté pendant des années. Mais depuis quelques semaines, l’envie se faisait oppressante, presque douloureuse, l’envie d’être vilaine, c’est bête, l’envie de sortir pour un instant de sa vie presque parfaite, du quotidien, de la pizza du samedi soir et du coup de bite qui suivait. Être quelqu’un d’autre, pour une après-midi. Elle se mettait à rêver de chambres d’hôtels glauques, d’inconnus rencontrés sur le parking, d’un prénom qu’elle s’inventerait, peut-être même une perruque, devenir Valérie, une quarantenaire flamboyante qui se fait prendre au détour d’une allée. Les fantasmes ne suffisaient plus, ils s’incrustaient dans son quotidien, dans les embouteillages pour aller travailler, elle n’allume plus la radio, elle n’en a plus rien à foutre des informations, elle pense à Valérie, aux hommes et à leurs odeurs, elle respire mieux quand elle se sent sexuée, entière, prête à glisser, à se donner.

C’est pas de sa faute. Et puis personne n’en saura rien. Elle s’est organisée. L’après-midi posée en demi RTT, les enfants à l’école, son mari bloqué sur un chantier. L’homme qu’elle va rencontrer n’est pas d’ici, de passage uniquement, elle ne le reverra jamais, elle essaie déjà d’oublier son prénom, elle répète son nouveau prénom en boucle, elle ne veut pas se tromper. Sa seule peur, ne pas vouloir revenir. Prendre goût à sa nouvelle identité, continuer à chasser, continuer à rouler, laisser derrière elle ce qui la définit, son titre de propriété, son certificat de mariage, ses enfants, plus rien ne semble compter. Elle paie la chambre en espèces, pour une nuit, sans bagages, ca la fait sourire. Par habitude, en rentrant dans la chambre, elle allume la télévision, une cigarette et délasse ses chaussures. Elle éteint son portable, et regarde la fumée monter.

Foire Fouille

C’est pas trop compliqué, de vendre un truc. Je veux offenser personne, ni les commerciaux technico-importants, ni les BTS Force de Vente, ni les gens qui pensent que c’est compliqué pour de vrai. Moi j’ai vendu plein de trucs dans ma carrière. J’ai même appris aux autres à la fourrer profond aux clients. C’est pas compliqué, je t’assure. Au départ, c’est un peu comme un slip tout neuf, tu te sens pas super à l’aise, ca pique un peu au coin des lèvres, rapport au sourire Disney que tu te colles aux zygomatiques. Mais ca vient vite, tu trouves vite ton petit discours de parfait rabatteur. Des cuisines, des solutions informatiques, de l’assurance, des cercueils, c’est la même came au final, la même daube à grosse marge sur laquelle tu vas toucher 8%.

Y’a quand même des choses que tu évites de faire, parce que t’as une sorte de conscience. Les petits vieux, qui seraient prêt à t’acheter trois fois le même robot pour découper les concombres, parce qu’ils ne se souviennent de rien, ou juste parce que tu es la seule personne à qui ils parlent de la journée. Les gens limités. Oui, ca arrive. Tu tombes sur des gens qui ne comprennent rien. Qui sont prêt à signer n’importe quoi. Parce qu’ils ont envie de toucher le cadeau en plastique made in Taïwan que tu leur as promis. Parce qu’ils ont envie que tu te barres. Parce qu’ils sont vraiment intéressés par ton offre magnifique qui n’en finira pas de les enculer avec du gravier pendant 3 ans au taux vraiment unique de 18,6%. T’as un peu pitié. Et puis c’est pas des ventes drôles. C’est trop facile. Un peu triste aussi. Alors t’invente n’importe quoi, tu raccroches, tu prétextes un coup de fil et tu les mets dehors, tu pries en secret pour qu’ils ne se fassent pas endormir par les chacals d’à côté.

C’est pas difficile de vendre. Je te jure. Tu renifles un peu ton client, tu lui tournes autour, tu balances quelques phrases qui ne veulent rien dire, sur le temps ou sur les vacances, sur les fêtes ou sur leur voiture, tu fais semblant de t’intéresser, d’ailleurs tu es toujours d’accord, tu as la même voiture qu’eux, le même portable, la même crème de jour, le même lieu du villégiature. T’es pareil qu’eux. Tu partages leurs galères. Bientôt ils ont envie de t’embrasser, tellement tu pourrais être leur pote, leur fille, leur nièce. Tu ne dis toujours rien sur le produit, t’es toujours pas passée à l’offensive. Tu laisses venir. Et puis quand ils font mine de partir, tu lâches une petite phrase traître, genre “bon, moi je vais essayer de gagner de quoi manger”, sur le ton de la blague. Alors, 3 fois sur 10, ils restent. Ils te demandent ce que tu vends. Ils t’écoutent. Ils achétent.

Bien sur, 3 fois sur 10 c’est loin d’être exceptionnel. Tu deviens pas VRP de l’année avec cette technique. Mais ca suffit. Tu fais pas le con, les bras en l’air derrière ton stand, les auréoles de sueurs qui dégoulinent pendant que tu coupes le 120 eme concombre de ta journée, tu hurles pas dans ton micro en effrayant les enfants et en faisant râler les vieux. Tu fais un peu ta pute. Tu souris à Monsieur, tu fais coucou au petit dans sa poussette, tu complimentes Madame, tu échanges un sourire complice avec l’adolescent qui traîne des pieds. Tu les dragues. Tu les fourres. Dans ta tête, c’est le Macumba des soirs de fête, y’a une voix de DJ de province qui hurle en boucle “ON VA LES NIQUER, ON VA LES NIQUER, ON VA ON VA ON VA LES NIQUER”. Alors tu les niques.

Au fond du couloir

Au bout du couloir, une porte qui reste close, une pièce qu’on ne fera pas visiter, aux amis qui arrivent, aux parents qui visitent, pas de tour du propriétaire dans cet espace confiné, le bois reste muet et la serrure fermée. Je sais ce qu’elle renferme, un couffin, une table à langer, une armoire décorée, des dessins pastels et des oursons rieurs, la poussière s’étire paresseuse sur les bouchons des lotions sans alcool, des lingettes de change. Les volets mécaniques sont baissés, il ne filtre que la moitié du soleil, en plumetis agaçants. La chambre du bébé est vide, depuis toujours, pas de morts nés, pas d’histoires dramatiques à raconter. Juste l’absence. Le vide. Le désir d’enfant.

Dans la cuisine, sur le plan de travail, l’attirail de la mère en devenir, les vitamines pré-natales, l’herboristerie conseillée par le médecin fraîchement consulté, des boîtes de test d’ovulation qui s’entassent le long de la crédence, un thermomètre, un verre vide sur lequel persiste les traces blanches d’une effervescence. La bataille est devenue guerre, elle s’enlise, elle n’en finit pas de faire des victimes, on cherche sans cesse de nouvelles armes, de nouveaux plans, un miracle qui viendrait, des prières, des bons sentiments, du repos surtout, du calme et de l’acharnement. Il n’y a rien de biologique, rien de physique qui les empêche de concevoir. Leur stérilité est mystérieuse, d’origine inconnue. C’est dans la tête, dit la belle-mère, lassée par les annonces successives qui finissent toujours dans les larmes, les quelques jours où elle y croit, où le test est positif, avant l’arrivée du sang, des tâches, et de l’amère sensation d’avoir échoué, encore. Pas pour cette fois, lâche-t-elle à son mari, qui n’y croyait pas vraiment, mais qui fait semblant. Pour elle. Pour qu’elle continue à avoir envie de lui, d’eux, de la vie.

Je ne sais jamais quoi dire. Je tombe enceinte en éternuant, c’est ma gynécologue qui le dit. Pourtant je suis obèse, je fume, je bois, je ne prends ni vitamine, ni traitement, je ne compte pas les jours et je n’observe pas ma glaire. Elle pense que je le fais exprès. Elle pense que je la nargue, avec mes histoires de contraception, de stérilet. Alors je ne dis plus rien, ni de ma vie amoureuse, ni du reste. Tout nous ramène toujours à l’embryon, à l’absent, au manque et à son sentiment d’être vide, de ne servir à rien, de n’être pas capable, d’être une malade imaginaire, puisque tout est en ordre, puisque tout fonctionne bien. Je la laisse me parler, j’écoute, je me réjouis avec elle, d’un nouvel article, d’une molécule qui arrive sur le marché, je fais semblant de croire qu’elle va y arriver.

Spot

Elle avait un bouton. Un gros. Un de ceux qui ne veulent pas finir de sécher, qui grignotent la peau toute une semaine durant, sans répit, un bouton rouge et un peu dégueulasse, qu’elle ne cessait de presser entre deux mouchoirs trempés dans l’alcool à 90°. Pire que tout, le bouton était juste en dessous de la commissure de sa lèvre inférieure, à l’endroit même où elle aurait voulu qu’il l’embrasse, là où il aurait pu déraper, en la laissant juste en bas de son immeuble, après le diner. Tout était dit, elle n’avait même plus envie d’y aller, c’était foutu, rien ne s’accordait avec ce bouton, ni sa robe noire, pas tout à fait sexy, mais pas tout à fait sérieuse, ni ses chaussures à talons, celle qu’elle essaie en secret tous les matins en sortant de la salle de bain.

Elle avait tout prévu pourtant, elle avait tout calculé, jusqu’aux détails les plus insignifiants, le parfum qu’elle porterait, le même que la première fois où ils s’étaient rencontrés, pour qu’il se souvienne, qu’il replonge avec elle dans la folie de cette première nuit, tout était allé si vite, leur premier baiser, le grand escalier jusqu’à son appartement, son sexe dans sa bouche sur le canapé, le petit mot qu’elle lui avait laissé, dans le vide poche de l’entrée. Elle ne pensait pas le revoir, pas vraiment, c’était juste par habitude, pour se donner une contenance en partant, pour ne pas être le coup d’un soir supplémentaire, son prénom et son numéro de téléphone, inscrits à la va-vite sur un post-il, avec le crayon noir pour les yeux qu’elle trainait au fond de son sac. En fermant les yeux, elle se remémorait à peine son visage, son sourire parfois, sa main et sa drôle de bague, l’odeur de son lit, nicotine et soupline, ses cheveux un peu trop coiffés, un peu trop droits. Au fond, elle ne se souvenait pas.

Ce bouton, c’était peut-être mieux comme ca. Pas d’excuses, pas de contrefaçons, pas de cheveux qui tiennent tout seuls, pas de peau parfaite, juste elle. Sans le halo alcoolisé du premier soir, sans cette euphorie étrange qui la pousse à être autre chose qu’elle même, plus sexuelle, plus crue, plus provocante. Juste elle. Son vieux sac, son jean préféré, son bouton, les talons peut-être, quand même, pour faire oublier sa démarche de petite fille sage quand elle n’est pas bourrée. Elle ira diner avec lui, comme prévu, elle en est sure, ou presque.

Kill Your Idols

Considérant que je ne suis pas, que je ne serai jamais, ni Janis Joplin, ni Courtney Love du début, ni celle de la fin, que ma voix ne porte pas assez loin et que mes mots n’intéressent souvent que moi, qu’on a dit la bite et le foutre, la chaleur des cuisses qui se frottent, les talons et les sequins, tous mieux que moi, tous ces gens dans ma bibliothèque, les monstres qui jugent et qui me regardent, j’ai beau mettre ton livre sur la dernière étagère, celle tout en bas, celle qui mord presque la poussière, ca ne change pas, tu restes tellement mieux que moi, je peux essayer, à quoi ca sert, Sainte Virginie priez pour nous, ils ne savent pas ce qu’ils font, elle ne sait pas ce qu’elle veut, elle brule votre livre, mais c’est pour mieux vous servir, découper les mots, exsangue la fille, assoifée de vengeance de ne pas trouver quoi écrire, elle fout le feu, elle ferme la boite en fer et elle attend, que les cendres pourissent, qu’elle puisse relire sans se frapper, sans se mordre les lèvres au sang, de n’avoir pas su ne pas vous imiter.

Kill your idols parce qu’il le faut, parce que la copie est une forme noble de l’admiration, mais qu’elle tue peu à peu, l’originialité, le souffle et la fureur, la rage en écume à la bouche quand je parle de toi pendant des heures, à quoi ca sert de disserter, à quoi ca sert de parler encore, de ceux qui ont fait mieux que nous, de ceux qui savent, de ceux qui ont vécu les choses que tu fantasmes, tu voudrais rattraper les choses que tu ne pourras jamais vivre, remonter le temps, fuck yeah, you’re an animal, seulement c’est pas possible, t’es coincée là, un EP qui tourne et ton clavier sous les mains, t’essaie de te battre mais la basse est trop forte, la voix trop cinglante, c’est trop beau, c’est vital, c’est primal, ca te tord et ca te retourne, ca te coupe les phalanges et ca te fait saigner, le sang qui coule est trop neuf, il n’aura jamais la couleur de leurs nuits, des histoires et des rumeurs, tu t’énerves toute seule, t’es hors norme mais t’es tellement comme tout le monde, la norme est intégrée, y’a plus personne pour l’enculer, à sec et sans plan marketing, l’argent ultime vaseline des combattants acharnés.

C’est juste l’histoire des gens comme moi, coincés entre ce qu’ils voudraient et ce qu’ils sont capables de faire, entre la volonté, les cris et l’abrutissante normalité, c’est l’histoire des fous et de ceux qui voient troubles, qui racontent en boucle les rêves et les oasis, les hallucinations et les projections, ceux qu’on souhaite, ce qu’on attend, ce qu’on désire, ce qu’on finit par échouer, la gueule enfarinée des illusions, pas de lendemains qui chantent quand tu te mets la pression, juste le constat terrible de ton existence qui continue sans que tu puisses l’apréhender, cette vie, cette pauvre pute, qui n’en fini pas de te niquer, quand tu l’attrapes elle glisse et elle se présente sous ses plus beaux atours, elle est baisable la connasse, mais elle te niquera à son tour, alors tu prends sur toi, tu claques de dents, tu te mords la langue, encore le gout du sang, le tien cette fois seulement.