Archives de catégorie : Blog

Boboland

Aujourd’hui j’avais rendez-vous à Boboland, ces quelques morceaux d’arrondissements où tu croises plus de mecs barbus que dans un meeting de bikers, les meufs sont moches et bonnes, affublées de lunettes grotesques et de bonnets poilus, ca roule en vélo hollandais, ca fume des roulées ou des light importées, c’est tellement cool et classieux d’investir des quartiers ouvriers pour se sentir exister, je les entends déja se pâmer sur l’authenticité de ce petit atelier de soudeur délicieux, découvert par hasard au fond d’une cour, ils en feront un loft pour une collocation branchée, on y écoutera Minitel Rose en tricotant des slogans engagés, on oubliera avec élégance les occupants de lieux sur dix générations qui nous vomissent dessus, ils n’ont pas été à New York, ils ne connaissent pas le rêve ultime du hipster français, riche mais dégueulasse, cultivé mais obtu, puant mais parfumé.

Y’a surtout cette nana, qui m’a roulé sur les pieds pendant que je traversais au passage clouté quelque part en bordure du Sentier, sa besace en cuir vintage, sa marinière et son air d’oie sotte, je lui aurai fort volontiers fait bouffer le portable hors de prix qu’elle se collait à l’oreille pour papoter, j’aurai aimé lui arracher ses lunettes oversized et trépigner sur les verres comme un personnage de dessin animé, cette connasse so-very-chic a oublié de s’excuser, alors comme un réflexe, j’ai chopé le panier de sa bicyclette d’un coup sec, et je l’ai laissé se vautrer, sous mes yeux amusés, au ralenti, sans comprendre ce qui se passait, toujours agrippée à son téléphone, l’écharpe en alpaga dégoulinant entre les rayons de la roue avant, elle n’a pas eu mal, elle s’est relevée, je ne suis pas si vilaine, j’étais juste énervée. J’aurai pu me contenter d’une injure, d’un mot un peu naze qu’on hurle vite fait, mais j’avais envie de crever sa bulle, de la faire sortir de son parfait petit monde de bourgeoise bohème, elle a peut être un peu écorché son jean, son Libé s’est éparpillé sur le macadam mouillé, mais je le jure, monsieur le juge, c’était pas fait exprès.

Elle a fait quelques mètres avant de remonter sur son engin, ajusté ses lunettes, mis fin à son appel, et puis l’air de rien, toujours l’air sotte pourtant, sans se retourner, ni m’insulter, ni me foutre son poing dans le nez, elle est repartie sur son chemin.

Faut dire que j’avais rendez-vous, alors j’avais mis des chaussures de filles, des ballerines avec un chat japonais dessus, tu vois le genre, la fille de presque 30 ans qui a pour souliers du dimanche les restes de son adolescence, j’avais mis mes grosses baskets qui brillent dans mon grand sac, elles refoulaient tranquillement à l’aise entre mon bouquin et mon briquet. J’aime moyen qu’on me roule sur la chatte, au sens propre comme au figuré, et puis elle tombait mal, cette dinde au jean retroussé, c’est la grève, je pouvais pas rentrer dans ma Banlieue en Velib’, alors elle a payé, pour mon énervement et puis pour la jalousie, de ne plus être à la frange de la hype, mais bien en bordure du commun, c’est tout le paradoxe de l’ex-parisienne repentie.

Ciao Pantin

Dans cette soirée un peu nulle, avec un DJ qui enchaîne les quarts d’heures zouk et les moments slows, ma meilleure amie, celle avec qui j’ai traversé Paris à dos de camion postal toute une nuit, voit Gad Elmaleh partout. Au début, c’était drôle. Cette fille était dingue, vraiment, toujours la première pour faire n’importe quoi, pour partir n’importe où, embrassez qui vous voudrez, vivez, rien ne lui faisait peur, rien ne l’empêchait de faire exactement ce qu’elle voulait. Au départ, j’ai cru qu’elle se foutait de moi. Elle se précipitait sur les hommes en leur criant d’enlever leur masque, de se révéler, de se montrer. Elle parcourait la salle plongée dans l’obscurité en hurlant qu’elle allait le retrouver, que ca ne se passerait pas comme ca, qu’il ne pourrait pas s’échapper. Ce soir là, on a fini aux urgences, je suis repartie seule, elle est restée, internée par l’interne en psychiatrie. Le lendemain elle m’appelait d’une cabine, elle s’était échappée, le monde entier lui en voulait.

Je n’ai jamais revu mon amie. Je n’ai croisé que son enveloppe, habitée par quelqu’un d’autre. Une malade hantée par des voix, par des hallucinations, par une sensation d’appartenir au monde entier, d’être à la fois la route et la voiture, l’arbre et le son, une fille abrutie par des grammes lourds de neuroleptiques, à gober du Solian par plaquette à la moindre contrariété, une fille usée d’être incomprise, qui passait des heures à m’expliquer qu’elle avait raison, que ce qu’elle voyait était vrai, qu’elle était la victime d’un complot des médias à son encontre, qu’on la suivait partout, qu’on l’attendait. Dans son malheur, son délire n’était pas violent, elle se pensait juste célèbre et adulée, dépensait des fortunes, écrivait aux agents d’artistes et aux radios, pensait qu’elle allait se marier avec ce grand humoriste, qui venait en secret lui apporter des cadeaux lorsqu’elle dormait. J’ai eu du mal à croire qu’elle était malade, c’était tellement incroyable, elle était tellement convaincue, elle me trainait à l’entrée des théâtres, elle envoyait des fleurs pour les premières, elle me disait l’avoir eu au téléphone, cette star qui l’aimait en secret, qu’ils allaient partir ensemble aux Maldives, elle avait même acheté les billets, 2200 euros payés pour rien, pour un billet British Airways pour une célébrité qui ne savait même pas qu’elle existait.

Ce soir, devant Faites Entrer l’Accusé, je pense à elle, parce que sa schizophrénie était si douce, son délire si rose, si pailleté, pas de monstres, pas de sang, juste une perception complétement magnifiée de la réalité, elle avait enfin sa juste place sans son délire organisé, c’était la star, c’était elle qui comptait, elle était si bien, elle ne voulait pas redescendre, elle demandait à son psychiatre si elle pouvait planer gentiment toute sa vie, sans rien déranger, juste elle et son délire, dans son coin, comme un trip qui ne finit jamais. Je pense à elle et je me demande où elle est, si elle a fini par rejoindre le monde des stars en noir et blanc et des tapis rouges dans le ciel, comme elle le voulait, où si elle erre toujours dans la rue, le regard dans le vide et les fringues déchirées, comme la dernière fois que je l’ai croisée. Je crois qu’elle avait compris qu’elle ne reviendrait vraiment jamais, que la maladie avait gagné, qu’il ne servait à rien de résister, elle se laissait aller, elle prenait le bus des heures durant, elle était le pont, elle était la pluie, elle pleurait du bonheur des fous, transfigurée par des visions qu’elle ne pouvait pas partager, éclatée de bonheur comme on prend une overdose de drogue, elle s’en foutait de passer pour normale, ca ne lui faisait plus rien, elle survivait parce qu’il le fallait, parce qu’on lui interdisait de faire autrement, elle m’appelait pour me dire des mots sans suite, elle chantait, elle raccrochait, elle était enfermée et puis elle sortait, de l’hôpital et puis d’elle même, la raison envolée, cercle sans dessein, concentrique vers la fin.

Twitter

Quelques jours maintenant que je n’utilise plus Twitter. Je lutte tous les jours contre mon addiction aux conneries en 140 caractères. Je n’y suis retournée qu’une seule fois, il y a quelques jours, pour taper vainement mon pseudo dans la barre de recherche. J’ai bien fait, puisque je m’y faisais traiter de “hangar à foutre”. Les absents ont décidément toujours tort, puisque l’auteur ce cette délicate saillie  n’aurait jamais osé m’insulter de vive-tweet. L’avantage de ne plus avoir de compte, c’est que je peux sereinement fermer la page du navigateur et passer à autre chose. Je ne ressens pas le besoin pressant d’affirmer qu’il a tort, que c’est lui même un gros enculé, et de lui rouler le nez dans une citerne de bouse fraîche. Je n’ai pas perdu toute ma barre de vie à lutter contre une entité virtuelle, à coup d’insultes et de bons mots, je n’ai pas été RT par ceux qui me soutiennent et huée par les autres. Je suis juste passée à autre chose.

J’ai quitté Twitter parce que je ne supportais plus le concours de bite incessant. Cette course au néant, avoir plus de followers, avoir le plus de RT, être dans les Top Tweets, être #FF par les tauliers. Et alors ? Casser du blog, chier sur les anonymes qu’on prend en photo sans le flash, lâchement, draguer comme un porc en DM et ne rien assumer, stalker son voisin, unfollower pour punir, avoir des cibles récurrentes, se clasher, assurer la promotion du billet qu’on vient de vomir, monter des collectifs d’égoïstes rassemblés pour nuire, cracher sur le physique, sur les idées, ridiculiser, baiser en privé, raconter ensuite en public, tous ces anonymes, ces individus qui se pensent si importants, si nécessaires, si brillants, tous ces gens, et moi dedans, qui se complaisent dans la médiocrité d’une identité virtuelle, d’une réputation fantasmée. Le marketing dans sa forme la plus puante adaptée aux individus, dans leurs déviances, dans leurs envies, l’anonymat relatif d’un réseau, voilà les ingrédients d’un Twitter qui pourrit, lentement mais surement.

En tant qu’individu lambda, je doute maintenant avoir ma place sur ce réseau social. Je n’ai rien à vendre. Je ne cherche pas à me placer. Je n’ai rien à défendre. Rien à sponsoriser, et pas envie de l’être. Alors pourquoi Twitter ? Pour rien. Pour râler, pour rire, oui, bien sur, mais je le fais déjà dans la vraie vie, celle où je ne suis pas limitée par mon clavier. La solution reste d’ouvrir un compte privé, d’y regrouper mes amis, mes proches, et de m’en tenir là. De me servir de Twitter comme d’un service de Mass SMS, rien de plus. Parce que j’ai rencontré un paquet de gens biens, aussi. Et que les vrais sont restés, par mail, pas texto, par coup de téléphone. Ils n’ont pas besoin de savoir que j’ai été lue par 2500 personnes pour me lire, ils n’ont pas besoin qu’un influent me crache à la gueule ou m’encense pour m’apprécier.

Animal Triste

Dans ses bras, encore collés, cuillère ultime post étreinte, serrée, j’ai la tête ailleurs, j’ai les souvenirs rayés, ils tournent au ralenti, rien pour les empêcher, en boucle sur la même piste, microsillon usé, aucune idée du moyen de transport pour en arriver là, juste la pression que je relâche quand mes cuisses se referment, peut-être la chimie du manque du médicament que j’arrête, pas vraiment obsédée encore, juste la bande du film qui rembobine au même endroit cent fois de suite. Je m’étonne d’être amenée vers ma mère, vers mon père, même en pensée, alors que je suis nue encore gluante et essoufflée, les voies de l’inconscient sont impénétrables, qu’est ce que je fous sur cette plage, un après-midi avec ma mère en Bretagne, alors que quelques secondes avant je jouissais encore, je ne sais pas, pas que ca me dérange, il n’y a pas de mélange, juste l’incongru du voyage mental qui me fascine, qui me fait fermer les yeux un peu trop longtemps pour en profiter, impression de flottement, voyage en enfance bizarre, endorphines téléphériques de ma mémoire.

Je me souviens d’avoir attendu que ma mère arrive, longtemps, l’été qui suit le divorce de mes parents. Je suis en Bretagne avec ma grand-mère depuis un mois déjà, voile le matin, club pour enfant l’après-midi, la croisière s’amuse à l’heure du déjeuner, les chiffres et les lettres en attendant de diner. J’attends ma mère parce qu’elle n’arrive pas seule, elle vient me présenter celui avec qui je vais cohabiter maintenant, mon beau-père, présentations, sourires gênés. Le lendemain, mon emploi du temps de gamine de 9 ans reprend, mais ma mère débarque vers 16h sur la plage, alors que je suis en plein trampoline ou autre activité. Je crois qu’elle vient me chercher, mais elle veut juste me parler. On s’assoit dans le sable, à quelques mètres des copains qui hurlent et qui prennent le goûter. Il ne fait pas très beau, elle a quand même mis son bermuda beige, celui qui reste toute l’année dans l’armoire humide de sa chambre de vacances. Elle me demande de faire un effort, de bien vouloir mettre un peu plus d’énergie dans mes activités, de gagner les concours du Club et de passer mes niveaux de voile, d’être plus polie, plus active, d’être mieux, parce que mon beau-père, ce mec que je connais depuis hier, me trouve un peu molle, un peu souillon, et qu’elle aimerait beaucoup que tout se passe bien, qu’elle puisse être fière de moi, qu’elle puisse se vanter d’avoir une fille vraiment géniale auprès de lui, comme si ca comptait pour elle, comme si je faisais partie du package de vente, comme si le futur allait dépendre de mon application à me dépasser.

Je ne sais vraiment pas pourquoi je pense à ça. J’ai pardonné depuis longtemps, du fond de mes entrailles, à ma mère et même à ce gros con, leurs humiliations et leurs manquements, leurs conneries d’adultes, leur situation pourrie, leur relation dysfonctionnelle, et moi, au milieu, qui crie en silence, surtout ne pas se faire remarquer. J’ai mis longtemps à oublier, parce que j’ai longtemps été persuadée que ma mère était prisonnière de cet enfoiré, qu’elle ne pouvait pas partir, qu’elle était torturée, violée, attachée, qu’elle avait des raisons très graves pour supporter ce qu’il nous faisait. Je m’inquiétais, j’inventais cents histoires pour justifier ce qui se passait, je voulais le tuer, je voulais m’enfuir, je voulais la sauver. Dans mes yeux d’adulte, j’ai compris que je n’avais pas tort. Ma mère était bien enfermée, prisonnière, le donjon n’était pas en pierre, bien sur, mais elle était bien captive. Comment continuer à en vouloir à sa mère, quand on réalise combien elle a souffert. Alors je ne sais pas pourquoi ce soir, j’ai encore le goût du sable sur les lèvres, cette scène affreuse de ma mère qui m’annonce qu’il me faut maigrir pour lui plaire, qu’il me faut courir plus vite et sauter plus haut, que mes cheveux sont sales et qu’il faut m’améliorer pour lui, je ne sais pas pourquoi tout ça me revient, à poil sur mon lit, mon nez dans son aisselle et sa main sur mes fesses, j’arrive pas à faire le lien et ca m’énerve, alors je viens l’écrire ici, parce que peut-être que demain j’y verrai plus clair.

Peut-être juste que j’accouche. De cette douleur. Normal après le sexe.

La Gardienne

A Paris, les gardiennes ont leur nom gravé dans le cuivre, sur une petite plaque au dessus de la boîte aux lettres de leurs appartements en rez-de-chaussée.  Elle ne sont pas seulement responsables du parfum quotidien senteur Eucalyptus de nos parties communes, elles sont aussi factrices, repasseuses intermittentes, arroseuses de plantes, kapo de la porte d’entrée, chien d’alerte pour adolescents qui fument en cachette, ministre de la rétention du paquet La Redoute, et secrétaire générale d’une vaste entreprise visant à nous emmerder la vie si les étrennes distribuées ne sont pas à la hauteur de son souhait. Dans une ville où il faut dépenser à peu près 1000 euros pour espérer pouvoir faire pipi dans son logement et pas sur le pallier, il faudrait encore donner 10% du montant de son loyer à la Reine du balais rétractable et de l’arrosoir troué. J’ai toujours pensé qu’une boîte de chocolats était plus représentative de ma reconnaissance et de mon adoration, ceci explique peut-être mon image faussée de cette noble profession.

Ici, en GBP, (Grande Banlieue Pourrie), être gardienne, c’est un peu plus compliqué. Il ne s’agit pas de veiller au bien-être d’une dizaine de propriétaires ou de locataires, mais d’assurer la propreté et la sécurité d’une dizaine de bâtiments des années 1960, entretenus par un syndicat immobilier semblable à une mafia sicilienne, pur racket organisé de populations désargentés et mal éduquées. On ne connaît pas le nom de notre gardienne, d’ailleurs on la croise rarement, elle passe son temps à aller d’un immeuble à un autre en tirant derrière elle un chariot-SAMU-premiers-secours, balais, brosse, pince coupante, clé de rechange, aspirateur et désinfectant industriel pour pipi dans l’ascenseur. Je sais juste qu’elle habite dans la tour à droite de chez moi, et qu’on peut la joindre sur un portable à heure définie par avance, chaque immeuble devant respecter un créneau horaire donné. Elle occupe également la position enviée de Pompier Officieux Volontaire, puisqu’elle est en première ligne sur nos feux de poubelles et nos voitures cramées. La gardienne, faut pas l’emmerder avec tes paquets, tes mômes qui chialent trop fort ou ton courrier qui arrive en retard, c’est pas son métier. J’adorerai voir la tronche d’une concierge à caniche du 15ème découvrant qu’un individu vient de chier dans sa cage d’escalier à rambarde en fer forgé. J’enverrai bien toutes les teigneuses qui m’ont pourri la vie en stage d’immersion ici, juste pour voir, juste pour rire aussi.

La seule discussion que j’ai jamais eu avec ma gardienne concerne sa poitrine. C’est étonnant. Elle me chope en bas de chez moi, pendant que j’essaie de trouver mes clés à l’intérieur de mon sac. D’un air complice, elle me demande ou j’achète mes soutifs. Parce qu’elle a mal au dos, la gardienne, tu vois. Elle en a marre de balader sa poitrine massive, elle pense à l’opération. Mais moi j’ai pas l’air d’avoir mal au dos, même qu’ils ont l’air de tenir drôlement bien. Elle devrait peut-être essayer ceux des 3 Suisses, qu’elle me glisse. Page 68. Mary Of Sweden, sous-vêtements thérapeutiques. Je lui ai conseillé de continuer ses recherches plutôt que de s’arnacher d’un corset pour seins couleur chair. Elle est repartie tout de suite, elle voyait bien qu’elle n’avait pas d’alliée en détresse mammaire. Depuis on se salue de loin, l’air entendu. On sait qu’on a des gros seins, on partage le frottement du pic de la baleine sous l’aisselle. Et ca vaut plus que toutes les étrennes.

Motif du deces

Avant j’aimais tout le monde. Par principe. Un sourire, une blague, un bon mot, et je t’aimais. Aveuglément. A me rouler par terre dans un champ de rutabagas pourris. A te donner mon hypothétique chemise. Convaincue de la bonté de l’humain, qu’en chacun réside un peu de lumière, que les pourris ne sont en fait que des anges déchus et blessés, que les connasses sont des petites filles frustrées, que le communisme est une idée formidable, bref, remplie de bon sentiments, je parcourais les foules en jetant mon amour à la face des gens, sans jamais choisir, parce que tout le monde mérite d’être aimé, parfaitement monsieur. Une analyse de comptoir plus tard, et on se rend facilement compte que je voulais surtout être aimée, de n’importe qui et à n’importe quel prix, et que ces bons sentiments, cet humanisme forcené, n’étaient que des prétextes pour faire accepter aux autres mes propres défauts, mes noirceurs et mes manquements.

Qu’on ne se méprenne pas, le complot visant à être aimée, désirée et adulée par le monde entier pourrit toujours quelque part à l’intérieur de mon abdomen, quelque part entre la rate et le cœur. La résilience, oui, merci, mais pas complétement. On oublie jamais vraiment, je ne sais pas si on pardonne tout à fait. On fait avec et on modifie son rapport à l’autre, on prend du recul, du moins, on essaie. On ne change vraiment jamais. Je crois avoir compris qu’on ne peut pas plaire à tout le monde, enfin. Et surtout, que j’ai le droit de détester, de ne pas être d’accord, de m’opposer, d’ignorer, de ne pas tout supporter sur l’autel d’une pseudo amitié, d’une relation lointaine familiale ou de quelques mails échangés. Je ne me bats plus contre les moulins à vents qui brassent conneries sur conneries, j’ai abandonné, je les laisse se débrouiller, j’ai trop à perdre dans ce combat déséquilibré, ego contre connerie, connerie contre soumission au principe de fidélité, connerie contre connerie.

Mon cœur de cible se restreint, et vous êtes de moins en moins nombreux à passer les tests d’entrée. Je fonctionne toujours de la même façon, je donne tout, très vite, mais à la première incartade, au premier mot de travers ou à la première alarme, ma confiance et mon soutien indéfectible se retire. Three strikes and you’re out. Au bout de la troisième, je ne ressens plus rien, j’attends juste que tu finisses de te vautrer, que tu confirmes pour mes statistiques ton statut d’enculé. Je tire un trait sur mon carnet, j’efface ton numéro, tu n’existes plus, grand ménage par le vide, rien de recyclable, déchets contaminés, merci de tout brûler.

Plaie d’argent n’est pas mortelle

Mais quand même c’est emmerdant. Surtout dans le monde merveilleux des Internets, où tout est spam, sponsoring et marketing, chaque blog, chaque page, chaque site ou presque te donne envie de remplir ton petit panier en osier virtuel de goodies inutiles, le gloss qui repulpe et le panty qui amaigrit, la nouvelle collection Chmoozbery ou n’importe quoi en fait, juste envie d’acheter pour appartenir à la tendance, pour faire pareil, pour comparer, pour s’identifier. Y’a aussi juste les besoins naturels secondaires, comme s’acheter des fringues ou des sacs poubelles, acheter consommer jeter, l’envie frénétique qui te fait composer les 16 chiffres de ta carte bleue même quand tu sais que le paiement sera refusé.

Heureusement on peut encore faire des chèques, bénie soit la France, alors aujourd’hui j’ai claqué comme jamais, j’ai dépensé 27,83 euros chez Auchan, merci le découvert autorisé. Ce qui m’a ennuyé c’est de réaliser qu’on était le 5 du mois, et pas le 31, début de mois difficile, légère crise de panique, consultation magique du compte bancaire en 3G, énorme anxiété. J’ai plus qu’à sacrifier des poulets sur l’autel du Pôle Emploi, ca fait jamais que deux semaines que j’attends mon rendez-vous pour mon indemnisation, je pense sérieusement à y faire un happening, nue et couverte de facturettes de paiements annulés, avec un mégaphone et des tatouages tribaux dessinés au charbon, Germinal Represent ! Je me plains, mais t’as qu’à bosser aussi, connasse, qu’est ce que tu fous sur ton gros cul toute la journée, l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, l’appétit vient en mangeant et les hippopotames ne sont pas les rois de la jungle, oui je sais, merci bien, pour la petite leçon de capitalisme appliqué vous repasserez, j’ai des “circonstances”, comme on dit dans le métier, j’ai des trucs à régler. Par exemple arriver à sortir de chez moi plus d’une demie journée. Ca peut aider pour bosser. Si la Cotorep reconnaissait l’agoraphobie, je serai la reine du pétrole, mes 800 euros et moi on danserait jusqu’à  l’aube en déshabillé de soie.

La bonne nouvelle, c’est quand même que je sois consciente de la situation et de mes capacités, avant j’acceptais n’importe quoi, Indiana Jones de l’emploi, plonge moi dans la merde et dans deux mois je te rendrai une usine de Canard WC profitable, claire et organisée. Mais j’voulais être cadre supérieure tu vois, je voulais traîner ma valise à roulette en déplacement, donner des ordres et monter des projections, j’voulais être une working girl, maintenant j’apprends, que mon bonheur est plus simple, qu’il réclame moins d’hypocrisie de ma part, moins de renoncements. Je voudrais juste que ca paie un peu, d’être heureux, c’est idiot, j’admire les gens qui bossent comme des cons et qui s’en rendent compte, qui pointent comme des abrutis et qui s’écrasent devant leurs supérieurs en pensant à l’Angleterre, ils savent pourquoi ils sont là, ils travaillent pour vivre, pas l’inverse, ils bossent comme des cons mais quand ils claquent la porte à 18h pile, ils se foutent bien de moi, la nana qui voudrait tout avoir, qui voudrait travailler de chez elle et être payée, juste parce qu’elle est pas trop conne, et qu’elle a oublié comment on fait pour aller travailler sans en crever.

Sans queue ni tete ni cul

Il est une heure du matin et le petit voisin turc ne dort toujours pas. Ce môme ne dort pas, toutes les nuits, sa mère s’enferme  sur le balcon pour fumer, il la rejoint et lui raconte ses secrets, moi j’entends tout, juste à côté, ca n’a aucun sens, et puis souvent je ne comprends pas, juste la musique de leur duo, rauque et aigu, l’odeur de la fumée qui imprègne notre air commun. J’arrête la musique, j’enlève le casque pour les écouter, ca me berce, ca me donne envie de chialer aussi, et puis quand j’ai arrêté d’être niaise et pure ca me donne envie de hurler, qu’il est tard et qu’ils pourraient la fermer, que les enfants doivent dormir et que si ca continue je vais sévir. De la voisine dépressive et attendrie à la folle furieuse, quelques minutes seulement, à la mesure du dégoût qui monte doucement.

J’ai toujours eu des problèmes de voisinage. A Neuilly, mon voisin voulait me mettre sa main dans la gueule, parce que je riais au téléphone après 22h. A Montrouge, ma gardienne avait déclaré une fatwa sur mes colis, et passait son temps à appeler les flics pour les aboiements de mon chien. A Paris, la famille du dessus prenait un plaisir incroyable à balancer ses slips sales dans ma cour, et venait les réclamer à 6h du matin, n’hésitant pas à me taxer un café au passage. Ici, tout va bien, on se supporte tous, on se dit bonjour, le monsieur antillais du troisième étage me souhaite de très bonnes fêtes toutes les semaines, je n’ose pas le contredire, c’est charmant, il n’y a que le petit turc qui ne dort jamais pour m’énerver, ce môme un peu gros et un peu sale, toujours la morve au nez et le ballon qui tape en rythme contre le mur dans l’entrée.

Il y a sa sœur aussi, qui adore me dire bonjour, parce que je lui réponds, et que personne d’autre ne l’appelle Mademoiselle. C’est un truc de ma mère, d’appeler les enfants Monsieur et Mademoiselle, alors je fais comme elle, je la salue avec respect, bonjour mademoiselle, elle me tient la porte, elle m’attend, merci mademoiselle, ca la fait rougir et elle rigole, merci madame, vous allez aux courses ? Alors elle m’attend, en haut du petit talus de la résidence, et quand je rentre du tabac quelques minutes après, elle me dit bonjour une nouvelle fois, et le cérémonial recommence, bonjour madame, bonjour mademoiselle, merci mademoiselle, au revoir madame. Elle reste derrière moi quand je monte les escaliers, j’ouvre ma porte et elle est là, sur le paillasson, je vois bien qu’elle essaie de voir ce qui se passe chez moi, elle appelle le chat qui évidement ne vient pas, je lui demande si elle veut rentrer, mais elle ne vient jamais, elle reste longtemps devant la porte à observer, je suis obligée de lui fermer sur le bout des pieds.

Ground Control to Major Tom

J’ai souvent l’impression d’avoir les doigts dans la prise, courant alternatif, main gauche, bas droit, frisson et vertige, ca s’explique pourtant, rationnellement, c’est “l’inclinaison de mon corps, l’inclinaison de ma tête”, c’est la course de la lumière dans ta rétine qui se recroqueville, rien de grave, respirez, tout va bien se passer. Tu perds prise pourtant, et je n’aime pas ça, sentir ton corps qui s’échappe, une seconde c’est déjà long, c’est pour ça peut-être que je ne supporte pas les substances, l’alcool à outrance, je ne voudrais pas oublier le sens des aiguilles de la montre, je ne voudrais pas perdre pied, plus j’y pense, plus ca ressemble à un genre de théorie de la boulimie, contrôler, ce qui sort ce qui rentre, c’est sexuel aussi, c’est primaire, c’est vomi.

Un soir à l’angle de la rue Oberkampf, aux Couleurs le rhum coule encore à flot, j’ai eu la trouille de ma vie, j’ai vu mes amis partir en couilles, excuse my french, éclatés sur le bitume mouillé par la pluie, délirants et assommés, en train de hurler, tous, les yeux révulsés, y’avait un truc dans ce joint, c’était pas la bonne trace, ils se roulent par terre, y’en a un qui s’arrache un ongle, comme ça pour frimer. Depuis cette épisode mi morve mi sang je supporte mal les ambiances glauques et les camés, j’avais rien pris pourtant, ma terre ne tremblait pas, j’ai juste cru qu’ils allaient tous rester scotchés, j’étais prête à sortir la craie, dessiner autour d’eux leur ombre en calcaire bleu. J’ai plus confiance en rien, mon Coca Light est souvent décaféiné, et puis j’ai pas besoin de ça pour vivre des expériences tout à fait déjantées, le manque de sommeil suffit à ma constitution pachydermique, les ombres sont des rêves qui s’animent.

Ca surprend souvent les navets, ces gens roses et blancs qui se fondent dans ma soupe, quand je leur explique que les gros sont des maniaques du contrôle. Comme si le gras était toujours synonyme de laisser aller, gros cul sur canapé, passe moi les chips et rote en stéréo simultanée. J’ai pas de pourcentages exacts, d’ailleurs personne n’en a, on préfère taper sur l’obèse plutôt que de comprendre l’obésité, autre débat. Je me sens plus proche d’une anorexique obsédée par la teneur calorique d’un quart de Granny, cent grammes, cinquante six calories, que du cliché habituel de la grosse lascive en toge, gourmande, molle et ramollie. Notre savoir est commun, nous avons juste des manières différentes de l’appliquer, la restriction ou l’excès, unique maîtresse, le besoin impérieux de se sentir exister.

Pourquoi est il aussi mechant ?

Je me pose la question. Pourquoi est-il aussi méchant ? Pourquoi est-elle si cruelle ? Pourquoi passer son temps à chercher des moyens supplémentaires de se faire détester ? La réponse facile, celle qu’on trouve dans les manuels de psychologie de comptoir pour les nuls, c’est qu’ils n’ont pas confiance en eux, qu’ils ne s’accordent pas assez de crédit pour être aimé et donc pour aimer, et qu’il s’enfoncent donc inconsciemment dans la haine pour pérpetuer un schéma générationnel ou un traumatisme passé. Mon cul. Les gens méchants sont souvent idiots ou intelligemment déviants. Dans le premier cas, on les pardonne, parce que leur méchanceté est ignorance, parce qu’elle est sans réflexion et sans dessein réel. Elle est immédiate et presque automatique.

Dans le second cas, on leur casse les dents à coup de marteau. Minimum. Parce que le méchant intelligent n’a pas d’autre excuse. C’est simplement un gros connard, qui se vautre dans une aura à la Cyrano de Bergerac, “des ennemis en tout et partout”. C’est souvent un être pétri d’une envie crasse de briller et d’être reconnu. Loin d’être sot, il préfère être détesté que d’être communément gentil et agréable, car la bêtise demande moins d’effort, et reste généralement beaucoup plus drôle à mettre en place qu’une molle existence d’individu bon. On se fait rarement chier quand on est méchant. On a des complots à fomenter, des dossiers à boucler, des surveillances à effectuer, on note et on entasse, toujours à charge, dans l’espoir de venir embarrasser et ridiculiser, pour être enfin celui qui prouve, celui qui accable, celui qui démontre à l’autre le peu de valeur de son existence. Le méchant se prend pour D,ieu, il est juge et avocat général à la fois, il expose les présumées fautes et donne la sentence. Le méchant mesure sa bite à l’impact de la réponse qu’on lui accorde, à la mesure de sa popularité d’antéchrist.

Le méchant n’avance pas masqué. Il est méchant, il en est fier, il le dit. Il espère ainsi qu’on essaie de le convaincre de la nécessité d’un changement, d’une révélation humaniste vers un monde meilleur, rempli d’amis qui se tiennent la main et d’associations qui donnent à manger aux petits oiseaux. Le fou rempli de bonne volonté tombe ainsi facilement dans les griffes du connard, qui sait qu’il provoque chez l’autre à la fois dégout et admiration. Dégoût de l’odeur de raclure, admiration de la posture de l’homme seul contre tous. Le piège est tendu en permanence, et permet de nourrir son obsession continuelle de chaire fraîche à dépiauter sous sa couette, de cerveaux à bousculer et de rumeurs à lancer. J’ignore le but à long terme de la démarche, je n’ai pas lu le parfait manuel du petit tyran, j’imagine qu’il s’agit de gonfler un ego abimé ou de s’attirer les grâces d’autres méchants plus influents, psychologie à deux francs nous revoilà. Nul ne sait ce qui arrive aux méchants quand ils grandissent, deviennent-ils de petits chefs de services opiniâtres ? continuent-ils à séduire et à influencer pour exister ? battent ils leurs enfants ? mangent ils des porcs vivants ? Ou se transforment ils en individus aigris d’avoir raté leur plan de domination du monde entier ?